Né en 1970 à Pikine, au Sénégal, Mamadou Mahmoud N’Dongo a grandi à Drancy, en Seine-Saint-Denis. C’est de ce vécu que s’inspire son dernier roman, El Hadj, qui met en scène un homme qui tente de s’extraire de la cité, de se détacher des liens qu’elle tisse autour de ses habitants. L’auteur lui-même, s’il vit toujours à Drancy, s’est construit sa propre destinée en s’inscrivant, à l’âge de 20 ans, à des cours d’histoire de l’art et de cinéma, fuyant le déterminisme social qui voulait que l’éducation nationale l’oriente vers des filières techniques. C’est aussi la construction d’une bibliothèque en bas de chez lui, quand il avait 11 ans, qui l’a poussé à se construire un univers parallèle à la culture de cité.
El Hadj est écrit de manière très fragmentée, très cinématographique, de façon à « évoquer des choses en très peu de mots », dixit l’auteur. Le rappeur Rocé, qui a lu des extraits du roman au cours cette rencontre-débat du musée Dapper, ne dirait probablement pas autre chose de ses textes, dont il a livré une version a capella pour deux d’entre eux – dont « On s’habitue », dont je vous propose de visionner le clip plus bas.
Mais avant cela, la parole est à Mamadou Mahmoud N’Dongo, un « homme dans la ville » :
« CHEZ NOUS, CHEZ EUX »
La cité que décrit Mamadou Mahmoud N’Dongo est un monde a part, coupé du reste d’une société discriminante. Un milieu insulaire séparé du reste du monde physiquement et symboliquement – par un océan de codes et de références…
Mamadou Mahmoud N’Dongo : « La cité, c’est un no man’s land dont on ne sort pas. Aux Etats-Unis, les ghettos sont au centre-ville ; en France, on met en périphérie les gens dont on ne veut pas. Il y a un fort taux d’illettrisme, d’alcoolisme, de violence. Et on n’en sort pas. Il y a chez nous et chez eux. Aller à Paris, c’est l’expédition ; moi-même j’ai mis des années avant d’y aller.
« On crée nos propres règles. L’éducation nationale n’a pas droit de cité dans ce monde où l’on crée nos propres références, Mesrine et Scarface, et notre propre hiérarchie : quelqu’un de respectable, c’est quelqu’un qui va se faire en un jour, par quelque moyen que ce soit, ce qu’un smicard se fait en un mois.
« Mais il y a une autre partie de la cité qui veut intégrer la société française, laquelle est très discriminante. Malgré la devise « Liberté, égalité, fraternité », dans le réel, c’est à vous d’y aller. Dans cette perspective, l’élection d’Obama a fait beaucoup de bien en France, peut-être plus qu’aux Etats-Unis : son exemple montre que les références qu’on se donne, ce ne sont pas les bonnes. »
« LA FATALITE DE L’HERITAGE »De la difficulté de concilier la culture d’origine et la culture de la cité, les liens d’appartenance communautaire et les échappées vers le reste de la société…
Mamadou Mahmoud N’Dongo : « Dans mon roman, rien que le prénom du héros, El Hadj, « le pèlerin », et son nom, Keita, c’est une fatalité, un héritage. El Hadj vient d’une grande famille africaine, les Keita – car en Afrique aussi il y a eu des empires, des systèmes de castes. C’est pour fuir cette fatalité que dans les cités, ils ont souvent des pseudos : pour se créer leur propre culture et, encore une fois, leurs propres références.
« Dans ma culture sénégalaise, je n’existe pas dans mon individualité, mais seulement dans un clan, une famille. Les Africains ont ramené ça dans la cité, où tout est affaire de liens de subordination et d’interdépendance. Si tu pars, tu risques de mettre en branle tout l’équilibre du clan. La communauté a été créée pour te retenir.
« Mon héros a les ressources intellectuelles pour observer ce phénomène et prendre de la distance. Il veut aller vers autre chose. Les autres se demandent pourquoi il les quitte. Eux sont très bien dans cette communauté. »
« LES VILLES, LIEUX DE MEMOIRE »Mamadou Mahmoud N’Dongo a grandi à Drancy mais, dans le cadre d’une bourse Stendhal, il a aussi vécu à New York et, depuis un mois, il séjourne à Berlin. Pour l’écrivain, les villes portent les mémoires de ce qu’on a voulu en faire et de ce que les habitants y laissent.
Mamadou Mahmoud N’Dongo : « Les villes sont des lieux de passage mais aussi de fixation. Il y a ce qu’on veut en faire, mais il y a aussi les gens qui y vivent et qui vont laisser leur mémoire.
« Drancy, pendant l’Occupation, c’était un camp de transit, point de départ vers les camps d’extermination. Quand j’étais petit, en allant jouer au football, je voyais un wagon, et des vieux, avec de drôles de tatouages sur les avant-bras, qui venaient le voir… Il y a un atavisme : avant d’être une banlieue, Drancy était déjà un lieu de relégation. Savoir cela, ça vous pose, et ça vous fait aussi vous poser certaines questions : Quelle est la place de l’Autre ? Comment exclut-on l’Autre ?
« A New York, il y a une différence entre Manhattan, cosmopolite quartier d’affaires, et Brooklyn, où l’on trouve tout ce dont l’Amérique, les Américains, ne veulent pas : les Noirs, les Asiatiques, les homosexuels… Tandis qu’à Harlem, quartier noir autrefois réputé mal famé, il n’y a plus que des bobos, car l’ancien maire Rudolf Giuliani a voulu sécuriser et nettoyer la ville. Reste qu’à New York, marquée par le protestantisme pour lequel la richesse est le signe qu’on est élu de Dieu, avant d’être blanc ou noir, vous êtes d’abord et surtout riche ou pauvre… »
de Mamadou Mahmoud N’Dongo,
Le Serpent à plumes, 2008
293 p., 18 euros
Et comme promis, le clip de « On s’habitue », du rappeur Rocé, également invité à cette rencontre-débat du musée Dapper :
Rocé - On s'habitue
envoyé par germinho. - Clip, interview et concert.