Ce billet est publié le dimanche, mais comme mes lecteurs attentifs le savent, il est souvent rédigé un peu avant (sauf quand je suis grave à la bourre). J'avais donc commencé celui ci mercredi matin, puis laissé de côté, pris par autre chose (non, pas la sieste).
Mais on est toujours mercredi, il est 16h et je viens de recevoir un email d'un quotidien britannique qui me demande de commenter un article publié ce soir sur la possibilité pour Blair de devenir le premier président de l'Union Européenne (150-100 mots!). Aie, la pression !
Cela fait un moment que l'on parle de Tony Blair comme possible futur président de l'UE. En fait la communication semble avoir été si bien faite en France par les services de l'Elysée (il y a 2 ans Sarkozy parlait de Blair à Lisbonne en ces termes : "c’est un homme très remarquable. Il est le plus européen des Anglais. Je ne connais pas ses intentions, mais que l’on puisse penser à lui, c’est assez intelligent" que je me suis aperçu récemment, en discutant avec quelques amis, que ceux ci étaient persuadés que c'était pratiquement fait, en tout cas inéluctable. En fait on en est loin, je dirais même que non seulement depuis le début Blair ne correspond pas au rôle, mais il a maintenant clairement du plomb dans l'aile. En tout cas, si lobbyisme il y avait sur une candidature, celle de l'ancien premier ministre britannique a fait pshiiiit comme aurait dit un autre.
Dès le début du mois d'octobre, le ministre des affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, déclare au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung que "Tony Blair n'a, ni sur les questions relatives à l'Union européenne, ni sur les grands thèmes politiques mondiaux, l'envergure souhaitable ". Le 10 octobre le chancelier autrichien, le social-démocrate Werner Faymann, déclare: "nous avons besoin d'un candidat qui n'est pas pour Bush, mais pour Obama" (allusion claire à la guerre en Irak). La Belgique (dont la candidature de son premier ministre, Guy Verhofstadt, en juin 2004 à la présidence de la Commission, a été sabordée par Blair qui a manœuvré pour y placer Barroso qui le soutenait dans la guerre en Irak) et les Pays-Bas sont sur la même longueur d’onde. Et surtout, comme l'écrit Jean Quatremer sur son blog, aucun de ces pays n’aurait été aussi loin dans le refus de Blair sans le soutien de l’Allemagne.
Ces réticences ne datent pas de cet automne. En France même, malgré la volonté présidentielle, des voix discordantes se sont faites entendre dès 2008. Blair "ne peut pas être le symbole d’une Europe qui veut exister", estime ainsi Édouard Balladur. Pour Valéry Giscard d’Estaing, qui présida la convention chargée de rédiger le projet de feu la Constitution européenne, "le futur président doit […] appartenir à un pays qui respecte" toutes les règles européennes. "Le choix de Blair me semble vraiment très, très difficile. Comment défendrait-il l’euro, qui conditionne notre croissance, dans les grandes discussions internationales ?", ajoute Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée.
Il faut dire que le bilan de Tony Blair au niveau européen est bien maigre. S'il a toujours communiqué son envie d'Europe (communiquer est une seconde nature chez Blair), il a peu fait, et c'est un euphémisme. Élu en 1997 avec une aura inégalée, les Anglais vous confirmeront qu'il aurait put tout faire passer dans les premiers mois tant le rejet des Conservateurs était grand. Au lieu de cela... rien ! La faute à Gordon Brown, anti-européen selon certains. Mais c'est oublier bien vite que gouverner, c'est décider, faire des choix. Tony Blair a clairement fait le choix de sacrifier l'Europe pour sa popularité et sa longévité gouvernementale:
Pour rappel, je citais ici les nombreuse dérogations dont bénéficie le Royaume Uni en matière de politique européenne :
- Opt-out du volet social du traité de Maastricht en 1992
- Opt-out du traité de Maastricht instituant la monnaie commune européenne
- Opt-out sur la directive européenne instituant une limitation des heures de travail hebdomadaires
- Opt-out sur la charte des droits fondamentaux (partie II du feu TCE)
- Opt-out sur la politique étrangère commune de l'Europe
- Opt-out sur une harmonisation européenne de la fiscalité
À cela s’ajoute le fait qu’elle n’est toujours pas membre de la zone euro, contrairement à ce que Blair avait promis lors de son arrivée au pouvoir, ni de l’espace Schengen de libre circulation (pour exemple, la Suisse, non membre de l'UE, intègre plus de concepts européens).
Quand à la soit-distante reconnaissance dont bénéficierait Blair sur la scène internationale, et auprès des "grands" de ce monde, il suffit de remarquer que son intervention comme envoyé spécial au Proche Orient est resté plus que confidentielle, sinon passée totalement inaperçue.
Vendredi 16 octobre, Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Grand Duché et président de l’Eurogroupe déclare aux journalistes qui l'entourent: "Je ferai tout pour qu’une certaine personne ne devienne pas président du Conseil européen". Il se serait écrié "Blair je te vois", l'effet aurait été le même. D'ailleurs le Luxembourgeois est officiellement candidat depuis mardi 27.
Lundi le feu a pourtant été ravivé, puisque David Milliband, le chef de la diplomatie britannique, a officiellement pris position faveur de Tony Blair : "Nous avons besoin d’un leadership fort pour y parvenir". Depuis la presse britannique ne cesse d'en parler... et surtout de relayer la très grande opposition, signe de l'impopularité de l'ancien premier ministre britannique dans son pays. Les Conservateurs, que tous les observateurs voient au pouvoir à l'issue des élections parlementaires de mai prochain, se sont déclaré violemment opposé et verraient d'un très mauvais œil cette nomination.
Autre sujet européen dans la presse outre-Manche aujourd'hui: les dépenses pharaoniques de la présidence française de l'union Européenne. Et comme on peut toujours raconter n'importe quoi à condition d'être un bon europhobe, je vous livre tel quel la grosse connerie ce qu'écrit le correspondant politique du quotidien gratuit Metro: "The French president had a £250,000 shower built for him using European taxpayers' money - only for it to be torn down, unused, days after being completed, it was revealed yesterday." Sauf que, c'est bien assez scandaleux comme cela, c'est en fait l'argent du contribuable français uniquement !
Pour tout savoir sur la douche-qui-n-a-jamais-servi, qui a coûté (avec bureau équipé 245 572 euros, et sur les autres dépenses relevées par la Cour des comptes (saisie par la commission des finances du Sénat, qui a rendu un rapport sur la présidence française de l’UE au second semestre 200 je conseille vivement la note d'Eolas qui écrit notamment :
"Passons sur le fait que le logo de la présidence a été payé 57.000 euros à Philippe Starck pour représenter… un drapeau français à côté d’un drapeau européen (quel génie ! ). Quand on voit qu’aujourd’hui, pour 41.000 euros, on n’a même pas un site internet potable. Tout au plus regrettera-t-on que le logo a été sous-traité ce qui le contrat ne permettait pas, et que le cahier des charges excluait que le logo représentât… le drapeau français et le drapeau de l’UE. Quand on est un génie, on ne lit pas le cahier des charges."
On ajoutera que le logo rappelle furieusement la photo officielle du président (ah, flatterie quand tu nous tiens ! ).