L’exposition semestrielle de Galeria Continua à Boissy-le Châtel accueille, comme par le passé six galeries invitées (jusqu’au 30 mai); il faut bien ça pour remplir ces lieux immenses, et qui vont encore s’agrandir dans le futur, et c’est un bel exemple de collaboration entre galeries, dans un milieu souvent trop individualiste. Si les installations propres à Galeria Continua sont déjà connues (Ehrlich, Pistoletto et Tayou en particulier).
On rencontre ainsi un radeau tragique et dérisoire de Carsten Höller, un taliban géant de Sun Yan & Peng Yu, keffieh rouge et Kalach en bandoulière (I am here), observant le labyrinthe de Pistoletto, et un socle minimal de Nedko Solakov, en réponse ironique à la sorcière de Tom Friedman au Palais de Tokyo.
A l’entrée, un champ de fleurs blanches bien alignées, comme des croix dans un cimetière militaire : c’est en effet la mort que veut représenter ici le Sud-Africain Willem Boshoff, mais la mort de la nature, la mort des plantes qui disparaissent ou sont en danger de l’être. Il y a là 15 000 fleurs en plastique, chacune étiquetée du nom d’une de ces plantes, que l’artiste, dit-il, est allé étudier sur place. On y va l’esprit léger et, peu à peu, en errant à travers les allées, l’humeur devient mortuaire (Garden of Words III).
Dans les salles mêmes, on commence par une grande installation de panneaux noirs, plaques de bois couvertes de petites chutes de tissu noir : naviguant entre les panneaux, on s’empreint de mélancolie. Souvenir, rêve, fantaisie, imagination sont les mots clés qui ont inspiré Joël Andrianomearisoa dans cette installation, Memory Box.
Tout au bout, un grand cube noir, tel la Kaaba, objet minimaliste peu engageant aux lignes droites. Par une porte dérobée, on parvient à l’intérieur où, par contraste avec la dureté externe, tout n’est que douceur et fluidité : dans une pénombre attirante, le plancher est recouvert de graine de couscous jaune comme le sable du désert. Le sol semble , parsemé de cratères et de canyons, avec, au centre, une petite plaque noire, tranquille, en écho à l’immense cube dans lequel nous sommes. Couscous Kaaba, de Kader Attia, est bien sûr un pont entre deux cultures, l’Orient et l’Occident, mais c’est surtout un jeu de formes, de lignes, de textures et de lumières éclatant de contrastes, d’échos et d’oppositions.
J’ai aussi été fasciné par la vidéo de la Sud-Africaine Minnette Vári, Quake, où, dans un paysage désertique, une ville, dans les lointains, s’effondre et se recompose, cependant que des formes humaines voilées apparaissent tels des mirages, avancent vers nous et s’évanouissent, tremblotantes, corps féminins à peine entrevus, insaisissables et évanescents. Cette apocalypse des immeubles et des êtres, cette régénération des formes, est accompagnée du bruit lancinant du vent dans le désert.
Enfin, pour moi qui m’intéresse à l’effacement (ainsi chez Maïder Fortuné, Jérémie Bennequin ou Estefania Peñafiel Loaiza; voir l’article de J. Souriau dans Art Présence de septembre), le ‘tableau’ de la Sud-Africaine Rose Shakinovsky, for derrida xxx, est un hommage contemplatif au philosophe et à ses sous-ratures. Beaucoup de Sud-Africains, me direz-vous : c’est que la galerie Goodman, de Johannesburg, présente ici pour la première fois, propose en effet de belles découvertes (et Kader Attia et Joël Andrianomearisoa sont aussi représentés par elle).
Photos de l’auteur, excepté Minnette Vari (courtoisie Goodman Gallery). Kader Attia étant représenté par l’ADAGP, la photo de sa pièce sera ôtée du blog à la fin de l’exposition.