Magazine Journal intime
Quand le gâteau est prêt, nous allons à la cuisine. Rita tranche le fruchtkuchen en petits carrés pendant que fais chauffer de l'eau et que je sors les tasses et les soucoupes. Joachim fait tourner un disque de Jean Sibelius, un vrai disque vinyle qui soupire tendrement en petits cracs et pops doux et séduisants. Nous emmenons les parts et les assiettes au solarium dans un grand plateau et remplissons la base du samovar d'eau très chaude. La théière repose au sommet, grosse de thé bouillant très dense et concentré. Je reviens avec les ustensiles et la crème dans un godet de faïence. Nous déposons les grosses pierres de sucre durci au fond des tasses et lorsqu'on y verse le thé, celles-ci craquent et se fendent en émettant de petits gémissements minéraux. Nous prenons place sous les fenêtres percées dans la toiture et devisons dans la lumière laiteuse de cet automne humide. Le jour décline lentement, défaisant un à un les liens qui relient les grands arbres à la lumière. Bientôt, ceux-ci cessent de se dandiner dans la grave musique des vents du Nord pour sombrer sous la chape fraîche de la longue nuit des plaines. L'Ems se gonfle encore une fois et demain matin les champs seront couverts de lames d'eau fumantes et miroitantes. Je roulerai sur une crinière de volutes fantomatiques et je me dirai comme chaque jour que plus je me connais, plus je sais que je ne suis rien ni personne.© Éric McComber