En tout juste deux réalisations – 40 ans, toujours puceau et En cloque, mode d’emploi – plus quelques productions remarquées, Judd Apatow a réussi la gageure de devenir le chouchou d’une partie de la presse cinématographique « intello » avec des comédies à l’humour potache assumé. Peut-être parce que dans ses films, les personnages, loin de n’être que des bouffons immatures, sont des êtres humains plus complexes et touchant qu’ils ne paraissent, et que le rire dissimule leurs fêlures, leurs angoisses existentielles– la sexualité, la paternité, l’engagement amoureux, etc… - finalement assez universelles.
Dans Funny people, il va encore plus loin dans la gravité en confrontant un des personnages principaux à la maladie et à l’angoisse de la mort.
George Simmons, un comique à succès, apprend qu’il est atteint d’une forme méconnue de leucémie et que ses chances de guérison sont quasi-nulles, ne reposant que sur un protocole expérimental n’ayant jusque-là pas été concluant.
Il prend soudain conscience qu’en dépit de tous ses avoirs, sa fortune, son pouvoir, il est comme tout le monde, démuni face à la maladie. Et surtout que, malgré sa célébrité et ses nombreux fans, il est dans une solitude totale. Il n’a pas eu d’enfants, sa femme l’a plaqué, excédée de ses trop nombreuses infidélités, et se tient désormais soigneusement à distance. Pire, son cynisme et son égocentrisme forcené l’ont empêché de nouer des liens solides et durables avec les gens qui l’entourent. Résultat, il n’a aucun ami véritable à qui se confier pour calmer sa peur de la mort…
Il revient alors aux sources, sur la scène d’un petit théâtre où de jeunes comédiens de « stand-up » tentent de lancer leurs carrières. Une façon pour lui d’exorciser ses angoisses par l’humour, d’utiliser le public comme confident. Il tombe sur Ira, un jeune comique maladroit, pas très à l’aise sur scène et encore moins avec les filles. Mais sa franchise et son impertinence sont pour George un salutaire bain de jouvence. Il décide de le prendre sous son aile, de l’aider à percer dans le métier. En contrepartie, Ira doit partager le secret de sa maladie et l’aider à traverser ce qui sont probablement les derniers mois de sa vie…
Les thèmes abordés par Apatow sont passionnants : le désarroi de l’homme face à sa propre fin, le besoin de transmettre quelque chose, de laisser une trace de son passage sur terre, la façon dont l’humour permet de supporter l’insupportable…
On se dit alors que Funny People part sur des bases intéressantes, d’autant qu’il permet à Adam Sandler de rappeler qu’il peut être un excellent acteur pour peu qu’on lui confie autre chose à jouer que des comédies débiles (souvenez-vous de Punch drunk love, par exemple) et qu’il offre à Seth Rogen un personnage touchant de candeur et de maladresse, assez nuancé.
On se prend même à espérer que l’œuvre sera bien, comme le promet ce texte des Inrockuptibles repris sur l’affiche, « une comédie qui impressionne par son amplitude et sa force dramatique, entre Woody Allen et Blake Edwards ».
Mais au final, rien de tout cela… On ne retrouve ni l’ironie cruelle de l’un, ni la sophistication et le sens du burlesque de l’autre. Apatow saborde son film à mi-parcours, délaissant complètement ses thèmes initiaux pour revenir au sujet bien moins profond ou original des relations hommes-femmes et des crises conjugales. Les personnages, qui avaient jusque-là finement évolué, redeviennent des neuneus pathétiques entraînés dans une intrigue vaudevillesque assez plate, au dénouement prévisible. Et comme le film est inhabituellement long pour une comédie (2h20), le rythme s’essouffle peu à peu, ce qui, dans ce genre de film, s’avère particulièrement handicapant…
Quelle drôle d’idée d’avoir ainsi fait bifurquer le scénario en cours de route ! Ce procédé se voulait peut-être audacieux, mais il s’avère surtout peu inspiré.
Il y avait là matière à deux scénarii distincts, qui auraient pu donner deux films tout à fait corrects. Mais combinés l’un à l’autre, en terminant de surcroît sur le moins intense, le résultat n’est pas brillant.
Après avoir généré une certaine attente chez le spectateur, le film déçoit sur tous les plans. La partie dramatique est finalement peu émouvante, plombée par ce curieux revirement scénaristique. La partie comique, elle, s’avère insuffisamment drôle, surtout pour un public européen peu familiarisé avec la « stand-up comedy », spectacles typiquement américains où un comédien seul sur scène s’adresse directement au public pour lui débiter des blagues inspirées du quotidien et souvent ciblées en-dessous de la ceinture. Il faut également avoir la culture nécessaire pour apprécier les références disséminées dans le film et les caméos de certaines personnalités – Sarah Silverman et son imitation du vagin de Britney Spears, le pétage de plombs d’Eminem qui est le seul à ne pas aimer Ray Romano, de la série « Tout le monde aime Raymond »,…
Restent les performances des acteurs, tout à fait correctes. Outre les deux acteurs principaux, le film bénéficie du charme de Leslie Mann et d’Aubrey Plaza et offre à Eric Bana et Jason Schwartzman de jolis rôles, le premier en bellâtre australien fan de footy, le second en acteur de sitcom ringard mais prétentieux.
Reste également l’indéniable sincérité de Judd Apatow. Il a beaucoup puisé dans sa propre expérience pour élaborer ce film, se projetant notamment dans le personnage d’Ira, le jeune comédien peu sûr de lui et trop centré sur ses défauts. Il faut savoir qu’Apatow a tout d’abord tenté une carrière de comique de stand-up avant de renoncer et de se mettre à travailler pour d’autres comédiens (Ben Stiller et Larry Sanders, entre autres, en ont ainsi bénéficié). Lui aussi a connu des années de galère avant de voir son talent reconnu. Il a d’ailleurs partagé une colocation avec… Adam Sandler. D’ailleurs, la séquence d’ouverture, où Sandler fait un canular téléphonique est une archive de cette époque-là).
Funny people n’est donc pas mauvais, loin de là, mais on sent qu’il y avait matière à quelque chose de plus drôle et/ou de plus consistant et on en ressent une légitime frustration. De fait, le film est un échec public aux Etats-Unis, et semble aussi ne pas vraiment rencontrer son public en France. Espérons juste que cela n’empêchera pas le cinéaste d’achever sa mue artistique. Car il est évident que Funny people se voulait une œuvre qui se transition dans la carrière d’Apatow. Elle met en scène des personnages plus adultes, est porteuse de thématiques plus matures, plus « art & essai », mais reste encore ancrée dans l’humour potache un brin puéril, plus grand public. A suivre, donc…
Note :