Eric Besson, et son identité sarkozyenne
Fidèle à son "Sarko-mimétisme" devenu légendaire, le ministre de l'immigration a sonné la charge le premier. Invité de RTL dimanche soir, Eric Besson annonça l’ouverture d'une sorte de Grenelle de l'identité nationale, un "grand débat" en deux volets "identité nationale" et "apport de l'immigration à l'identité nationale", dès le 2 novembre et jusqu'en février 2010, dans les préfectures et sous-préfectures, avec les "forces vives" du pays. Personne ne fut dupe. La presse, puis l'opposition et même une partie de la droite ont critiqué ce projet bassement électoraliste. Sur le Net, les blogs s'en donnent à coeur joie. L'électoralisme de cette initiative est tellement visible que la plupart des commentateurs rigolent, raillent et moquent.
Mardi, il y avait pourtant un vrai sujet : les chiffres du chômage sont tombés. Encore 45 000 chômeurs de plus en septembre, soit 3,475 millions de personnes inscrites à pôle emploi, sans compter les chômeurs partiels et autres placardisés en stages de reconversion. Au total, on frôle les 5 millions d'exclus du travail.
On pourrait aussi parler du bilan de la politique migratoire du gouvernement. La Cimade vient de publier son dernier rapport : elle rappelle qu'expulser coûte un prix déraisonnable (environ 27 000 euros par sans-papier "éloigné"). La Cimade souligne aussi que 230 enfants ont été emprisonnés en 2008, au prix de troubles et traumatismes divers. On pourrait aussi rappeler que les polices de Sarkofrance ne trouvent pas suffisamment d'immigrés clandestins "modèles" à expulser: plus de la moitié des expulsés proviennent de Mayotte ou de pays nouvellement européens.
Eric Besson préfère s'acharner sur des familles, des touristes, des précaires en tous genres, pour atteindre coûte que coûte son quota d'expulsions. Mais il reste bien timide contre les employeurs de travail clandestin: à peine 15 000 contrôles sur les 8 premiers de l'année. On pourrait aussi souligner que ses appels à la délation des passeurs de février dernier ont fait choux blanc.
Pour desserrer l'étau des critiques, la Sarkofrance tente d'institutionnaliser ses pratiques au niveau européen, avec le soutien de la Grande-Bretagne et de l'Italie : elle vient de demander à l'Union Européenne de financer des vols charters pour l'expulsion des migrants en situation irrégulière. La Commission européenne et certains pays trainent la patte.
La terre et les mots
Mardi, Nicolas Sarkozy visite une ferme dans le Jura, le sourire coincé, encadré par quelques milliers de policiers et gendarmes qui quadrillent le coin. Puis, devant une assistance silencieuse dans une salle des sports voisine, il enfonce le clou. Sous prétexte de quelques annonces en faveur du monde agricole, il s'écrie: "La France a un lien charnel avec son agriculture, j’ose le mot : avec sa terre. Le mot "terre" a une signification française et j'ai été élu pour défendre l'identité nationale française." Il était difficile de ne pas ressentir quelques relents pétainistes volontairement provocateurs dans ces déclarations. Sarkozy voulait replacer le débat sur un terrain clivant qu'il affectionne, et rassurer un électorat âgé et droitiste. Le soufflet est, malheureusement pour lui, très vite retombé. Les propositions du Monarque étaient maigres, malgré ses grands cris volontaristes habituels ("je ne cèderai pas !"): un milliard d'euros de prêts bonifiés à une profession déjà surendettée; des subventions pour compenser partiellement les franchises médicales et la taxe sur le Foncier non bâti; un remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel et de la future taxe carbone. Au total, voici 650 millions d'euros d'allègement de charges sur deux ans.
On attendait des idées précises sur la position française vis-à-vis de la politique agricole commune, que l'Europe doit redéfinir. Rien. On attendait aussi, puisque Nicolas 1er l'avait annoncé, des propositions en matières de régulations des cours de matières premières (sait-on jamais ?), ou de rééquilibrage de la valeur entre producteurs et distributeurs. Rien non plus.
On retiendra surtout que des paragraphes entiers de son discours ont été en fait copiés-collés, à la virgule près, sur un précédent discours vieux de 10 mois. Même sa bafouille sur l'identité nationale française était pompée sur le même texte. Pourtant, Sarkozy avait prévenu, le doigt en l'air, le ton ferme: "je ne suis pas venu vous tenir un discours que vous avez déjà entendu". Bien sûr. Sarkozy dérape. L'histoire se répète. Il y a 15 jours déjà, le même Monarque déclamait que le lycée était synonyme de méritocratie, le jour même où la polémique sur le "placement" du fiston à la tête de l'EPAD explosait. Triste sort pour un triste Sire...
Gabegie financière
Les vieilles recettes ne fonctionnent plus. Il y a deux ans, il suffisait que Sarkozy lance une idée, guidée par l'émotion ou le calcul, contre les cheminots qui chôment, les chômeurs qui fraudent, ou les fous qui assassinent, et le pays tout entier applaudissait ou criait au scandale. Depuis la rentrée, Sarkozy pédale à vide. L'agenda politique lui échappe. Chaque déclaration se transforme au mieux en bourde, au pire en railleries.
Son discours agricole est tombé à plat. Et une autre polémique, internationale encore une fois, déborde les conseillers du président : un rapport de la Cour des Comptes, réalisé à la demande d'un impétueux Sénat, révèle l'ampleur des dépenses élyséennes pendant la présidence française de l'Union Européenne fin 2008. On y retrouve, comme lors du précédent rapport de la dite Cour sur les frais de fonctionnement de l'Elysée, de croustillants détails sur la mauvais gestion des deniers publics par le Monarque. Servez-vous, il y en a pour tous les goûts : 16,6 millions d'euros pour 4 heures de sommet de l'Union pour la Méditerranée, 1 million d'euros par jour pendant 6 mois de présidence; des frais engagés sans appel d'offres, ni planning, pour le plus grand bénéfice de quelques fournisseurs; des installations, comme cette zone de bureaux au Grand Palais, dont quelques douches haut-de-gamme, 245 000 euros au total, aussitôt montées, aussitôt détruites. Nicolas Sarkozy ne sait pas gérer son propre budget.
La Cour des Comptes devrait aussi s'intéresser au Plan Espoir Banlieue de Fadela Amara: la secrétaire d'Etat a engagé 34 millions d'euros, à 70% auprès d'entreprises privées, voici un an pour placer en formation ou trouver un emploi pour 45 000 jeunes. Un an plus tard, le bilan est maigre : 1160 jeunes ont été casés.
Confusion des genres
Mercredi, Henri Proglio, président de Veolia, passait son examen de passage vers la présidence d'EDF devant quelques parlementaires, à huit-clos. On ne sait jamais. La situation est inédite, pour une entreprise publique de cette taille. Elle trouble, tant le conflit d'intérêt est manifeste : le talentueux Henri Proglio va diriger les deux entreprises, l'une publique, l'autre privée. La confusion des genres n'est pas une découverte en Sarkofrance. Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, avait en main d'épineux dossiers de concurrence relatifs à France Télécom. Il y a quelques mois, il a franchi le Rubicon sans problème ni contestation. Sa promotion chez France Télécom a été accélérée ces derniers jours; il est devenu directeur général adjoint France, à la faveur de la vague de suicides qui frappe l'entreprise.
Au mépris des règles élémentaires d'éthique, Nicolas Sarkozy a ainsi placé des proches à la tête du premier groupe d'énergie (Proglio chez EDF), du premier opérateur télécom (Stéphane Richard, chez France Télécom), de la seconde banque française (François Pérol, BPCE), et du troisième constructeur d'armement (Luc Vigneron, Thalès).
La presse en veut, paraît-il, au Président. Mais ce dernier n'est pas rancunier. Il a fait adopter en Conseil des Ministres un nouveau plan d'aide à la presse : l'Etat va offrir un abonnement d'un an à tous les jeunes de 18 à 24 ans. Les patrons de presse sont ravis. Quelle est la contre-partie à cette généreuse subvention ?
Un parquet dépendant
En matière de justice, les décisions se suivent et se ressemblent. Angolagate, Chirac ou Françafrique, voici trois cas où le ministère de la justice a recommandé le classement sans suite. Il a eu gain de cause, mercredi auprès de la Cour d'appel de Paris, dans l'affaire des détournement de fonds publics par divers chefs d'Etat africains: la plainte d'une ONG a été jugée irrecevable. La Françafrique se porte bien. On ne touche pas aux fidèles soutiens, fussent-ils soupçonnés de corruption. Le patrimoine immobilier des 3 chefs d'Etat incriminés s'élèverait à quelques 160 millions d'euros. Deux autres juges ont au contraire joué l'indépendance : Charles Pasqua est sorti de son procès sur l'Angolagate avec une peine d'un de prison ferme. Le vieux routier des Hauts-de-Seine et de la droite chiraquo-sarkozyenne n'entend pas se laisser faire. Il a demandé la levée du secret-défense, puisque l'instruction n'a pas eu accès à tous les dossiers. Il a aussi mouillé tout le monde: Chirac, Balladur, Villepin, Juppé auraient été au courant de rétro-commissions en faveur de politiques français.
Un autre juge a renvoyé Jacques Chirac devant un tribunal correctionnel dans l’affaire des emplois présumés fictifs de la ville de Paris. Là encore, le parquet avait demandé le classement sans suite. Nicolas Sarkozy, capable de proclamer publiquement et par avance la culpabilité de son rival Dominique de Villepin lors du procès Clearstream, est resté cette fois-ci bien discret : il s'est rappelé qu'il "existe un principe qui est celui de la séparation des pouvoirs".
Nicolas Sarkozy croyait tenir le bon bout. C'est raté.
Ami Sarkozyte, où es-tu ? De quoi discutes-tu ?