La politique présidentielle met les collectivités locales dans une situation catastrophique : elle accroît les obligations en réduisant ses ressources. La suppression de la taxe professionnelle en est l’illustration lamentable. Il s’agit pour l’Etat de faire payer aux collectivités locales les déficits produits par sa mauvaise gestion et les conséquences de la crise économique et sociale, en transférant les dépenses et réduisant les ressources. La disparition de la taxe professionnelle n’aboutit en rien à un allègement fiscal des entrepreneurs. Elle a pour seule conséquence un étranglement des collectivités.
1 ) La mauvaise gestion de l’Etat
- La dette publique ne cesse d’atteindre des nouveaux records avec 1.428 milliards d’euros fin juin soit une hausse de 61,1 milliards supplémentaires en seulement trois mois. Elle devrait atteindre 84% du Produit intérieur brut en 2010 et pourrait même avoisiner les 91% en 2013 d’après le budget que le gouvernement a présenté mercredi. Les dépenses de l’Etat pour 2009 devraient s’élever à 370 milliards d’euros dont 140 ne sont pas financées. Ainsi, il emprunte chaque jour 700 millions d’euros pour ses dépenses courantes (INSEE, comptes nationaux)
- la pratique de l’Etat, c’est faire payer aux tiers les conséquences de sa mauvaise gestion. Pour exemple, le poids de la dette de l’Etat au sein des déficits de la sécurité sociale : Les calculs procédés conduisaient à l’estimer à 91 milliards d’euros au 31 décembre 2005, montant comprenant les créances des organismes de sécurité sociale sur l’Etat. Une projection raisonnable permettait de chiffrer la dette sociale à environ 105 milliards d’euros à la fin de 2009… A présent, l’Etat baisse les remboursements aux particuliers sur les médicaments et provoque une augmentation du coût des mutuelles : baisse des prestations et hausse des charges pour les Français
- l’exemple des 35h est symptomatique des mauvaises pratiques : l’addition en année pleine de sa mise en place sous L. Jospin par M. Aubry et DSK est de 18 milliards d’euros, par la baisse des charges sociales des entreprises. Le coût horaire du travail français est devenu le + important de l’Union Européenne (28,7 euros de l’heure en 2004 contre 24,8 pour l’Europe des 15 de l’époque). Les heures supplémentaires, instaurées par le Président de la République, ayant pour objectif d’accroître le temps de travail pour revenir aux 39h, se font aussi par un surcroît d’endettement de l’Etat pour la majoration de ces heures supplémentaires. Le coût pour les finances publiques de l’allongement de la durée de travail façon N. Sarkozy, est potentiellement égal à la moitié du coût de sa réduction, mode Jospin (1)…
2 ) Transférer aux collectivités les obligations et déficits
Ce que subissent les Français du fait de l’impéritie de l’Etat concernant la sécurité sociale, les collectivités le vivent dans leurs ressources. Et ce seront encore les Français qui en seront les victimes. La pratique est ancienne : transférer aux collectivités locales de nouvelles obligations sans les recettes correspondantes, baisser les dotations d’Etat :
- Les transferts par l’Etat aux collectivités locales de charges non financées s’étaient multipliés sous le gouvernement de la « gauche plurielle ». Le transfert insuffisamment financé de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) s’est traduit par une forte hausse des dépenses d’aides sociales pour les départements (+10% en 2002 et +14% en 2003). La gauche avait transféré 800 millions d’euros aux départements pour financer l’APA alors que cette compétence leur a coûté 2,5 milliards d’euros en 2003.
- Le Gouvernement Jospin avait transformé une grande part des recettes fiscales locales en dotations de l’Etat : suppression de la vignette, de la part régionale de la taxe d’habitation… Plus de 14 milliards d’euros de recettes fiscales ont été perdues par les collectivités locales.
- il est regrettable que cette pratique n’ait pas seulement perduré mais se soit particulièrement aggravée avec la présidence de N. Sarkozy. La suppression de la taxe professionnelle en est un exemple déplorable.
3 ) La suppression de la taxe professionnelle
- La suppression de la taxe professionnelle, était réclamée depuis plus de vingt ans par les entreprises : la suppression de sa part salariale l’a rendue encore plus injuste car elle a creusé l’inégalité fiscale entre les différents types d’entreprise et a mis l’Etat en difficulté puisque celui-ci a du compenser par des dotations les recettes fiscales perdues. Mais n’oublions pas que la suppression de la taxe professionnelle contraint l’Etat à inventer un nouvel impôt local puisque la Constitution lui en fait depuis 2003 l’obligation. L’impôt envisagé et présenté dernièrement impacte toujours autant l’activité des professions libérales et artisanales, s’ajoutant de plus à un impôt sur les sociétés accru par la disparition de la taxe professionnelle ! La disparition de la taxe professionnelle n’aboutit en rien à un allègement fiscal pour les professionnelles, la seule conséquence est un amoindrissement des ressources des collectivités territoriales…
- Les collectivités ont perçu l’année dernière plus de 28 milliards d’euros au titre de la taxe professionnelle, dont 17 milliards d’euros ont été affectés aux communes et aux intercommunalités. Cette taxe représente ainsi, à elle seule, 43 % de ce que rapportent les impôts directs locaux. La taxe professionnelle constitue donc une recette essentielle pour toutes les collectivités. Comment ne pas comprendre le désarroi suscité par l’annonce de sa disparition chez les élus locaux de tous bords (comme Alain Juppé) ?
- La question que nous devons nous poser est celle-ci : comment concilier un impôt équitable pour l’entreprise tout en maintenant son lien avec le territoire ? Comment assurer l’obligation de recettes pérennes pour les collectivités ? Cette réforme de la fiscalité des entreprises devrait se faire avec les collectivités territoriales qui permettent par leurs investissements l’attractivité de leurs territoires.
4 ) Le choix est à présent stratégique
- hier avait été mise en place la régionalisation afin de « déconcentrer » et accroître une gestion de proximité. Mais nous avons vu combien une gestion non maîtrisée, non pensée, pouvait provoquer déficits locaux et augmentation des charges locales pour nos concitoyens (2)
- aujourd’hui l’Etat paraît partagé entre la recherche d’une gestion de proximité, et la concentration en son sein des décisions. Surtout, l’Etat donne l’impression de vouloir faire payer la facture de la crise économique et sociale aux collectivités sans avoir à se réformer lui-même, et s’arroger des annonces à son seul bénéfice mais au seul déficit de nos collectivités. Philippe Séguin (3) nous rappelle que l’Etat, malgré les transferts de charges, a continué à embaucher des fonctionnaires sur les missions dévolues aux collectivités ! (D’après Philippe Séguin, les 400 000 fonctionnaires supplémentaires engagés par l’État entre 1980 et 2006 représenteraient un surcoût équivalent à un tiers du déficit structurel de l’État, évalué autour de 50 milliards d’euros). Résultat : l’Etat accroît les transferts de gestions aux collectivités locales sans les ressources associées et l’on diminue les ressources, ici l’exemple de la suppression de la taxe professionnelle, tout en ajoutant à la dépense des collectivités (« en vingt-cinq ans de décentralisation, la dépense des collectivités locales a été multipliée par plus de cinq et celle de l’État par plus de trois »). Peut-être est-ce la conséquence d’une nouvelle « politique » : choix politique unilatéral de la suppression de la taxe professionnelle, paiement par la dette des choix politiques, transfert des responsabilités aux autres…
- il va falloir choisir : soit c’est l’Etat qui est seul stratège, tant au niveau de l’Hexagone que du local, en l’occurrence dans nos départements et régions, et alors il assume tous les investissements structurants nécessaires : le développement économique régional et les infrastructures associées, les politiques sociales, les transports, les formations, les reconversions, etc. Et alors nous réempruntons la voie du jacobinisme, étranger aux réalités locales, ignorant les potentiels diffus, et se montre incapable lier dépenses et résultats. Soit dans un souci de bonne gestion par la connaissance du « terrain » et des réalités, il fait le choix de la proximité. Alors le transfert de compétence doit s’accompagner des ressources associées. Mais alors inévitablement, l’on ne pourra faire l’économie d’une refonte des missions des collectivités, d’un allègement évident du « mille feuilles », et de l’imposition d’un cadre des dépenses.
- La réforme des collectivités locales aura de lourdes conséquences, notamment financières car elle limitera soit directement (si la future loi interdit les financements croisés), soit à travers la suppression de la clause générale de compétence des régions et des départements (qui interdira par là même les doubles financements par la région et le département), les cofinancements qui permettent souvent aux communes de financer leurs équipements lourds
- Le choix d’une politique de proximité est celui de la volonté où tous les territoires se développent. L’asphyxie des collectivités territoriales aura pour résultat une nouvelle désertification de nos espaces pour de nouvelles concentrations autour de rares agglomérations. Les conséquences seront funestes : perte des dynamiques économiques, entrepreneuriales, fin de la solidarité nationale, constitution d’immenses espaces appauvris ayant pour pendant quelques agglomérations hyper concentrées, ingérables, irrespirables.
- la décentralisation a permis un essor extraordinaire des initiatives locales et des investissements publics tout en rapprochant le service public du citoyen. Quand on parle de la réforme des collectivités territoriales, il me paraît incontournable de ne pas oublier leur rôle irremplaçable sous prétexte de corriger des déviances qui sont loin d’atteindre celles de l’Etat lui-même… Que devons-nous faire ? Il me paraît inévitable qu’Etat et collectivités, ensemble, établissent quelles sont les responsabilités politiques et les ressources associées.
- Enfin, la réforme électorale pour les collectivités territoriales, si elle emprunte bien le chemin du suffrage direct à un seul tour, souhaité par N. Sarkozy, exige de notre part une opposition forte et vigoureuse : elle consacrerait les fortes minorités, interdirait le rassemblement majoritaire, éloignerait définitivement ces collectivités de nos concitoyens du fait d’une expression politique minoritaire. Ce serait, encore une fois, l’illustration de la négation de notre République (4), où le sarkozysme dépouillerait les derniers oripeaux gaulliens de la droite.
Etat et collectivités doivent se comprendre comme partenaires, dans le but d’une gestion de nos territoires efficace et solidaire. Tout comme l’Etat doit retrouver un rôle stratège de développement de la France, faisant de l’Intelligence Economique (enjeux territoriaux) l’outil idoine, dépassant le Plan d’hier. Enfin, la nécessaire réforme des impôts ne disparaît en rien. La France fiscalise toujours trop ses entreprises par rapport aux citoyens. Cela fait partie des vérités qui dérangent (5). Mais avant toute réforme de notre système fiscal, dont j’espère toujours le prélèvement à la source (désolé pour les amis du ministère), c’est à une réforme de l’Etat qu’il faut opérer. La crise, grave et structurelle tout autant que conjoncturelle, met en lumière les lacunes de notre Etat, que les pouvoirs socialiste et néolibéral ont appauvrit de ses capacités stratégiques, tout en le laissant grossir d’un clientélisme suicidaire (6). L’engagement sur la pente néolibérale depuis une vingtaine d’années, où le marché financier a progressivement remplacé l’offre industrielle, a déstructuré Etats et sociétés. Collectivités territoriales et populations sont devenues les victimes principales et aveuglées de ce choix. Sur ce point, nous reviendrons plus longuement…
(1) Jean Peyrelevade, « Sarkozy : l’erreur historique », Plon
(2) Le Point, dossier sur les dépenses des collectivités territoriales, n° 1937 du jeudi 29 octobre 2009
(3) Philippe Séguin, Le Monde du 28 octobre 2009, « bilan accablant de la décentralisation »
(4) François Bayrou, « Abus de pouvoir », Plon
(5) Jean Peyrelevade, ibid.
(6) Nicolas Baverez, « Après le déluge, la grande crise de la mondialisation », Perrin. Et Eric Maurin, « La peur du déclassement, une sociologie des récessions », chez Seuil