C’est encore sur l’humeur exécrable de Madame la ministre de la Culture, contrariée pour la troisième année consécutive par la sortie d’un livre désagréable, que s’est ouvert le Salon du livre d’Alger, et j’en viendrais presque à jubiler d’être enfin innocent de cette goujaterie, moi qui ai eu l’indélicatesse de gâcher la fête de la ministre à deux reprises par deux ouvrages discourtois, j’en viendrais presque à jubiler de mon innocence si l’auteur de la muflerie 2009, la muflerie Poutakhine, n’était un confrère de longue date, doublé d’un gentlemen qu’on ne saurait suspecter d’incorrection envers une dame. Je mesure son émoi. Rien n’est plus violent pour un galant homme que de se surprendre dans la peau d’un butor. On ne s’en remet qu’avec peine. Rien n’est plus blessant, de surcroît, que les propos acerbes d’une femme bafouée. «Cette chose qui s’appelle livre» est allée jusqu’à dire Mme Toumi, avec l’assurance d’une chevronnée en littérature apte à consacrer le chef-d’œuvre comme à vilipender le torchon.
Puis, ce fut l’inévitable fadaise. «Nos révisionnistes ne peuvent pas accéder au Salon du livre», comparant l’auteur de Poutakhine au philosophe français Roger Garaudy, insinuant par là que, dans notre beau pays, le genre humain s’est amélioré et qu’il n’y a plus de rebelles, plus d’esprits chagrins, plus de contestataires, seulement des courtisans…. C’est là que réside le plus affligeant pour un homme distingué : forcer une dame irritée à la bêtise. Il y avait, une fois de plus, comme une pulsion suicidaire qui poussait Mme Toumi à se couvrir de ridicule et à livrer sa postérité à la redoutable société cancanière d’Alger, quand aux «qu’est-ce qu’elle fut belle !» s’ajouteront les «qu’est-ce qu’elle fut sotte aussi !» pour évoquer une ministre de la Culture qui fit métier de s’indigner de tout.
Car enfin, l’exemple de Garaudy étant bien celui à ne pas prendre, il nous rappelle que son livre fut interdit selon des voies démocratiques, par le juge de la 17e chambre correctionnelle de Paris alors que Poutakhine, comme bien d’autres livres interdits sous l’ère Bouteflika, l’a été selon les méthodes abjectes d’une république bananière : par une escouade de policiers. C’est toute notre misère. Les voies de fait.
Mme Toumi semble éprouver un sordide bonheur à être en dehors du temps. Qui lui dira que dans les us d’un Etat moderne, c’est la justice et non le gouvernement qui décide du caractère outrancier d’un livre. Quel livre, en dehors de ceux des prévôts, ne serait frappé d’indignité s’il ne dépendait que de l’humeur des dirigeants ? Qui juge quoi ? Qui, en dehors d’un magistrat, a prérogative de conclure à «l’atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et à la sécurité nationale ; l’atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ; la falsification du Saint-Coran et l’offense à Dieu et aux prophètes» ?
Ministre sous Naegellen, Mme Toumi aurait interdit Nedjma ; sous de Gaulle, elle aurait interdit Sartre !
En vérité, Mme Toumi s’adonne, avec peu de talent, au complexe exercice de théoriser l’arbitraire. Elle enrobe de mots et de mimiques, un ordre venu du président Bouteflika en personne. La tâche est ardue. Historiquement ingrate. Ce fut la tâche de tous les chambellans qui, de leur vivant, ont fait le lit des dictatures et qui, binocle sur le front, en singes savants, escomptaient duper le monde au moyen de futiles minauderies pour toujours finir par nous jeter en enfer.
Que dire à l’auteur de Poutakhine sinon qu’il doit y avoir un Dieu pour les écrivains persécutés, sans quoi les bibliothèques ne seraient pas pleines de livres interdits et le monde se serait rappelé du nom des chambellans plutôt que de celui des plumes pestiférées.
Mohamed Benchicou/ le Matin DZ