Deux hommes se sont plaints des conditions de leur détention dans des prisons polonaises, notamment du fait du très faible espace personnel dont ils disposaient (inférieur à 3 m2). Les juridictions internes ont partiellement refusé leur demande d'indemnisation et rejeté celle destinées à améliorer ces conditions de détention.
Les deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme à cette occasion sont intéressants sur le plan de la recevabilité des requêtes : il est ainsi rappelé qu'" une action indemnitaire " destinée à octroyer au détenu " une réparation pécuniaire [...est] insusceptible d'avoir une incidence sur ses conditions générales de détention " et ne peut donc être considérée comme un recours interne à épuiser avant de saisir la Cour - § 116).
Il en est de même sur le plan du fond quant à l'allégation de violation de traitement inhumain et dégradant (Art. 3) : la Cour énonce " qu'à chaque fois qu['elle] sera saisie par un détenu se plaignant d'une incarcération prolongée dans une cellule où il ne dispose pas d'un espace personnel d'au moins 3 m², il existera une forte présomption que l'article 3 de la Convention a été violé" (§ 132).
Autre élément important, elle rappelle que la charge de la preuve de ce que le requérant bénéficie bien de conditions de détention conformes à la Convention pèse sur l'Etat défendeur (§ 136). En l'espèce, la Cour conclut dans chaque affaire à la violation de l'article 3 du fait de l'insuffisance d'espace " non compensée par la possibilité de circuler librement en dehors de la cellule et combinée avec des conditions d'hygiène préoccupantes " (§ 140).
L'aspect le plus remarquable de chacun des arrêts réside surtout dans le choix des juges européens de se prononcer sur le terrain de l'article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts). Cette décision est motivée par la quantité de requêtes actuellement pendantes à Strasbourg contre la Pologne au sujet des conditions de détention (environ 160), " en particulier en cas de surpopulation carcérale " (§ 149), car cet afflux contentieux révèle " un problème systémique résultant d'un dysfonctionnement de l'administration carcérale légitimé par une législation défaillante qui a touché et est susceptible de toucher de nombreuses personnes " (§ 151). Pour tenter de résoudre ce " problème structurel " - reconnu comme tel par la Cour constitutionnelle polonaise en 2008 (§ 79 à 88) -, la Cour suggère donc à l'Etat défendeur des mesures générales de résolution (v. CEDH, G.C. Broniowski c. Pologne, 22 juin 2004, req. 31443/96) . Après avoir salué l'arrêt de la Cour constitutionnelle (§ 154) et les efforts des autorités nationales (§ 157 - tout en fustigeant le fait que " depuis un certain nombre d'années, les autorités nationales semblent avoir négligé l'existence de la surpopulation carcérale et de conditions de détention inadéquates " - § 156), la Cour souligne la nécessité d' " efforts conséquents et durables [...] déployés à long terme " (§ 157) pour aboutir à une situation carcérale conforme à la Convention.
Tout d'abord, la Cour évoque la nécessaire " mobilisation de moyens financiers [certes] considérables [mais sur le terrain de l'article 3] la question financière ne saurait justifier l'absence totale de toute mesure étatique destinée à améliorer la situation carcérale ". Ensuite, des mesures non financières sont également suggérées comme la réduction du " nombre de personnes incarcérées, notamment en appliquant plus aisément des mesures punitives non privatives de liberté " (§ 158). Enfin, si le recours indemnitaire est aussi favorablement souligné, certaines conditions sont requises (ce recours " ne peut en principe valoir que pour les personnes qui étaient mais qui ne sont plus détenues dans des cellules surpeuplées dans des conditions portant atteinte à leur dignité " § 159) et la juridiction strasbourgeoise insiste sur les limites du levier judiciaire civil qui est " insusceptible d'apporter une solution globale au problème des conditions de détention inadéquates compte tenu du fait qu'elle ne peut agir sur les circonstances qui en sont à l'origine " (§ 160). La Cour préfère donc à l'action judiciaire civile " un système efficace de recours auprès de l'administration pénitentiaire et des autorités chargées de surveiller l'exécution des peines, notamment le juge d'application des peines, lesquelles sont mieux à même que les tribunaux de prendre rapidement des mesures appropriées, notamment d'ordonner le transfert d'un détenu en vue de son placement durable dans une cellule conforme aux normes prévues par la Convention " (§161).
Par ces arrêts et surtout par cette suggestion de mesures générales, il y a fort à parier que la Cour ne visait pas que la seule Pologne et qu'elle ait également souhaité s'adresser à tous les autres Etats parties - comme la France - où le problème de la surpopulation carcérale est endémique.
Actualités droits-libertés du 26 octobre 2009 par Nicolas HERVIEU