Celle aux Beaux-arts part d’un mythe occidental, celui du déluge et de l’arche de Noé. Sous les regards vides des portraits et des statues qui peuplent les lieux, l’arche en carton plié se déploie; elle accueille des animaux exotiques empaillés, dont certains ont visiblement souffert, non du déluge, mais d’un incendie : la mort a frappé ces animaux une seconde fois. Serait-ce un châtiment divin en punition de nos péchés, mythe hébraïque du dieu vindicatif, rancunier cruel et mauvais cher à
Jose Saramago ? Ou bien ce bateau de papier est-il un signe, comme le souligne Jean de Loisy, de l’autodestruction suicidaire de nos propres sociétés ? Et nulle colombe en vue avec un rameau d’olivier. L’ivresse de Noé rend fou.
Quittant le mythe hébreux pour un mythe grec, allons-nous gagner en rationalité ? Passant de l’arche à la caverne, de Noé à Platon, allons-nous retrouver raison et sérénité ? Ce qui frappe d’abord en entrant dans la galerie, c’est le contraste des formes : l’arche était ouverte, accueillante, comme une corolle, recevant lumière et regards, des vivants comme des portraits muraux plongeant en elle. Entrant dans l’espace de la galerie, on se heurte à une masse grise, rugueuse, qui occupe tout l’espace, qu’on ne sait comment négocier; elle nous repousse, nous rejette, le regard bute sur elle et ne sait où se fixer. Ce contraste visuel des deux installations traduit bien l’opposition de deux mondes, de deux philosophies. Ici, la raison domine, certes.
Mais il faut faire le tour, passer de l’autre côté, trouver le petit trou dans la paroi qui permet de voir à l’intérieur de la caverne : nous ne sommes pas les hommes ignorants et impuissants qui, blottis dans la caverne, regardent sans les comprendre les ombres du monde extérieur. Le spectacle, ici, ne s’offre pas somptueusement, ouvertement à tous, il faut le mériter, attendre son tour, se pencher, tenter de discerner dans la demi-obscurité. C’est, en quelque sorte, la philosophie traduite en formes.
Et que voit-on dans la caverne obscure ? Serait-ce une cohorte de Bouddhas ? Ne rejoindrions-nous pas ici enfin la sagesse orientale, dépouillée de nos lourds passés judéo-chrétien et gréco-latin ? Dans la salle voisine, un éléphant blanc vient de muer, sa vieille peau, adhérant encore à lui par lambeaux, traîne au sol et il la piétine. C’est sans doute lui le passeur (L’Ombre blanche, ci-dessous).
Me souvenant de la présence de Huang Yong Ping à
Magiciens de la Terre, il y a vingt ans, je ressors le catalogue. Une des deux pièces présentées est ainsi décrite : “L’histoire de l’art chinois et l’histoire de l’art moderne occidental sont mis dans la machine à laver pendant deux minutes.” Le résultat n’est hélas qu’une bouillie infâme de pâte à papier…
Photos 1, 2, 4 et 6 de Marc Domage, courtoisie de l’artiste et de la Galerie Kamel Mennour.
Caverne, 2009 (Caverne en résine, sculptures de bouddhas et de talibans, chauves-souris projetées en ombres chinoises) et L’ombre blanche, 2009 (Peaux de buffles sur structure en acier et résine. 250 x 450 x 210 cm). Vue de l’installation à la Galerie Kamel Mennour, Paris.
Arche, 2009 (Bois, papier et animaux taxidermisés. 15m (long) x 8 m (haut)). Vue de l’installation à la Chapelle des Petits-Augustins, École Nationale Supérieure des Beaux-arts, Paris.
Photo 3 de l’auteur.
© Huang Yong Ping.