Rencontre avec Raphaël Pichon, Directeur musical de l’ensemble Pygmalion

Publié le 30 octobre 2009 par Philippe Delaide


J’ai rencontré Raphaël Pichon, Directeur musical de l’ensemble Pygmalion. Nous avons notamment évoqué son approche du répertoire baroque, notamment la musique sacrée, ainsi que ses projets.


Un très bel enregistrement que vous avez réalisé des messes brèves BWV 234 et 235 de JS Bach chez Alpha a été salué par la critique, soulignant notamment la maturité étonnante de votre interprétation. Quels sont, selon vous, les ingrédients de la réussite de ce projet ?

Raphaël Pichon : les musiciens de notre génération ont eu la chance d’avoir des aînés qui ont énormément apporté sur les règles d’interprétation de la musique baroque, notamment le répertoire sacré, depuis plus de trente ans. Ils ont eu besoin de s’approprier ce répertoire, de le comprendre et d’interpréter ses ressorts profonds, de maîtriser les spécificités vocales, instrumentales ou encore celles de  la rhétorique. Nous arrivons ensuite avec la chance extraordinaire d’avoir grandi baignés  dans ces principes, en ayant bénéficié de leur enseignement, écouter leurs disques et concerts, etc. Avec ces acquis, Nous donnons ainsi à entendre une digestion et une approche je l’imagine relativement neuves qui sont plus liées à l’interprétation en tant que telle, à savoir, les couleurs, les tonalités que l’on veut révéler à la lecture de ces œuvres.

Comment expliquez-vous cette orientation pour le répertoire sacré, notamment celui de JS Bach, alors qu’il a déjà été de nombreuses fois exploré ?
R.P. : la révélation s’est faite pour moi à l’âge de 11 ans, alors que je faisais partie de la Maîtrise des Petits Chanteurs de Versailles. C’est l’interprétation comme choriste de la Passion selon Saint-Jean de JS Bach qui a constitué le déclic, plus particulièrement le chœur qui ponctue la Passion (« Ach Herr, lass dein lieb Englein am letzten End die Seele mein in Abrahams Schoss tragen ») presque comme un hymne à la joie, porteur d’une espérance exprimée d’une façon tellement intense. Cette joie sensorielle, cette sorte d’idéal de construction est un ressort important dans ma lecture de ce répertoire.


Cette sorte d’énergie positive, d’élan irrésistible se ressent bien dans votre interprétation des messes brèves. On est également marqué par les couleurs, et, surtout, la plénitude sonore avec un équilibre intéressant entre le chœur et l’orchestre
R.P. : remettre le chœur au centre du dispositif est vraiment une préoccupation majeure dans notre interprétation du répertoire sacré, notamment celui de JS Bach. En France, on a trop pris l’habitude par le passé de cantonner le chœur à un rôle d’appui dans la musique ancienne, finalement presque secondaire par rapport à une masse orchestrale toujours plus imposante. Pour notre enregistrement des messes brèves notamment, nous avons remis le chœur à position égale avec l’orchestre, notamment au niveau de la perception sonore. Tout en gardant une clarté indispensable de la ligne, ceci permet d’atteindre une plénitude sonore qui sert encore mieux l’exaltation, la lumière que ces œuvres doivent transcrire. Etant moi-même chanteur, cela m’aide peut-être à rééquilibrer la place du chant choral par rapport à l’interprétation instrumentale.


On ressent également une véritable spontanéité, un vrai plaisir que peuvent avoir des musiciens à jouer ensemble
R.P. : c’est la philosophie même de l’ensemble Pygmalion. A l’origine, nous avions créé ce groupe essentiellement pour le plaisir de jouer de la musique ensemble. Ce sont tous des amis qui partagent avec moi cette volonté de faire émerger la lumière, la joie, le sourire dans la musique, y compris dans des répertoires qualifiés de plus graves. Nous avons tous des parcours assez différents, des musiciens de notre ensemble pratiquement en parallèle la musique sur des répertoires très différents (comme la musique de chambre ou la musique contemporaine). Pour ma part, je participe en tant que chanteur à l’ensemble les Cris de Paris, dirigé par Geoffroy Jourdain. Ces autres activités musicales, très différentes, contribuent à enrichir notre lecture de la musique et évite de nous enfermer dans des automatismes ou un « formatage » lié à un répertoire particulier.


La lumière, la joie sont en effet des traits caractéristiques de vos interprétations du répertoire sacré. C’était à nouveau assez marquant dans le concert que vous aviez donné à l’Eglise des Blancs-Manteaux le 24 mars 2009 et consacré à des cantates et odes de musiciens luthériens du XVIIème siècle (Schütz, Buxtehude, Bruhns). Appelé « Ode Funèbre », le concert révélait finalement des couleurs bien plus claires qu’on aurait pu le penser
R.P. : c’est justement l’option que nous avons adoptée pour ce concert. Nous ne faisons pas autre chose que de nous inscrire dans la liturgie de l’Eglise luthérienne pour lequel le mystère de la mort s’interprète toujours avec l’espérance, la joie liée au salut en ligne de mire.
La tonalité de sol majeur du « Selig sind die Toten » de Heinrich que nous avions interprété ce soir-là ne symbolise-t-elle pas l’ouverture vers les portes du Paradis ?


Quels sont vos projets pour 2010 ?

Tout d’abord au disque, nous clôturons chez Alpha le cycle d’enregistrement des messes brèves de JS Bach avec les messes BWV 233 et 236. Ces dernières ont déjà été données en concert au Festival de Saintes cet été, ainsi qu’au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles le 15 octobre dernier. Dans la continuité des messes brèves, nous avons un projet de concert centré sur la première version de la Messe en si (édition de Dresde, 1733) avec la tentative d’apporter un éclairage nouveau, grâce à la mise en regard de la Missa dei Filii de Jan Dismas Zelenka, écrite pour le même orchestre de Dresde quelques années plus tard.

Nous avons également un projet de concerts itinérants, alternant des pièces sacrées de JS Bach avec des Motets de toute la famille Bach, de Johann Bach à Carl Philipp Emanuel Bach. Une édition monumentale des œuvres de CPE Bach est en train d’ailleurs d’être éditée et nous allons certainement y dénicher quelques trésors.

Enfin deux projets me tiennent particulièrement à cœur, compte tenu de leur portée et leur ambition.

Le premier projet concerne l’interprétation inédite d’une œuvre lyrique par l’ensemble Pygmalion. Il s’agira d’associer musique et théâtre autour du mythe de Venus et d’Adonis, avec le même thème exploré et par John Blow dont le Vénus et Adonis date de 1683, et par Marc Antoine Charpentier, avec les Amours de Vénus et Adonis, datant quant à eux de 1685. Cette version sera complétée de vers burlesques tirés de l’Art d’Aimer d’Ovide, joués par Michel Fau, qui tiendra le rôle d’une sorte de Testo, fil conducteur du drame joué devant nous.

Le second projet, assez ambitieux et expérimental, a pour objectif d’associer au concert des cantates de JS Bach avec une commande d’une œuvre sacrée écrite par des compositeurs d’aujourd’hui, que l’on interprétera sur instruments anciens. Ces œuvres s’inscriront comme pendants des Cantates de JS Bach, notamment autour (NONdes mêmes textes, ou tout au moins,) de la même thématique. Nous avons (notamment) commandé au compositeur Vincent Manac’h l’écriture de la première de ces pièces, intitulée Le Chant des Nuages, en regard des cantates BWV 8 et 27.

Ceci s’inscrit je le crois dans la problématique d’un ensemble comme le nôtre. En effet, nous devons continuellement nous poser la question sur ce que doit être le projet artistique d’un ensemble Baroque en 2009. Ce projet d’associer la musique d’aujourd’hui à une interprétation sur instruments anciens, avec leurs couleurs si spécifiques, tente d’apporter une réponse.

Après un travail de près de trois mois de laboratoire et de travaux spécifiques avec le compositeur, ce projet se matérialisera par un premier concert le 20 juin 2010, dans le cadre des concerts rencontre organisés sur le lieu de résidence de l’ensemble Pygmalion à Ivrysur Seine.