A l’évidence, si Ledger n’était pas mort brutalement en plein tournage, le film aurait été bien différent. La disparition du comédien a forcé Gilliam à adapter son scénario et l’emmener dans une autre direction. Mais L’imaginarium du Docteur Parnassus ne commence pas avec Ledger. Il commence avec Christopher Plummer, qui incarne le personnage titre, vieux de plusieurs siècles et allant de ville en ville présenté son Imaginarium avec une petite troupe de fidèles. Le docteur permet aux volontaires de s’aventurer dans son imaginaire en traversant un miroir. Ledger incarne Tony, retrouvé pendu à un pont, qui va aider le vieux docteur à remporter un pari lancé par le Diable, une vieille connaissance du Docteur…
Après le désastre artistique qu’a été Tideland, la méfiance était de mise pour ce nouveau long-métrage de Terry Gilliam. Pourtant cet Imaginarium est sans conteste son meilleur film depuis L’armée des douze singes voilà bientôt quinze ans. Si L’Imaginarium est un film orphelin de son acteur, c’est aussi un film malade. Un film interrompu, remanié, réorienté pour perpétuer le travail de Ledger et ne pas abandonner le film. C’est un film qui ne ressemble certainement pas exactement à ce que Gilliam désirait à l’origine. Parfois un peu bancal, paraissant rafistolé avec trois bouts de ficelles pour faire tenir le récit.
Pourtant L’Imaginarium du Docteur Parnassus est un film fort. Un film souvent passionnant,
Ambitieux, Gilliam tisse une narration dense, dont les réajustements pour palier la mort de Ledger affaiblissent parfois le récit. Mais le cinéaste a trouvé dans cette épreuve matière à enrichir son film. Lorsque Ledger traverse le miroir, voici donc qu’il prend les traits tour à tour de Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell. Ce n’est pas la participation (relativement courte) de ces comédiens qui enrichit le film, mais la possibilité que s’offre ainsi Gilliam d’explorer les faux semblants. L’être et le paraître qui s’insinuent. Il en profite également, en se recentrant plus sur la fin sur le personnage du Docteur Parnassus, sa lutte avec le Diable et son désespoir face aux éternelles épreuves, pour esquisser une métaphore sur sa propre carrière, ses propres épreuves de cinéastes. Les personnages ayant glissé dans son imaginaire ont tous un choix à faire, une route à emprunter : la voie facile, faite de tentation et de familiarité ; et la voie des braves, rocailleuse et semée d’embûches.
Au long de sa carrière, Gilliam, cinéaste maudit, n’a jamais emprunté la voie la plus évidente. Malgré les erreurs de parcours, son chemin a été sans compromis. Même si le Diable guette toujours du coin de l’œil, prêt à entraîner sur un chemin plus alléchant. Gilliam a d’ailleurs eu l’idée grandiose de confier le rôle du Malin à Tom Waits, nonchalant et inquiétant à la fois dans la peau du Prince des Ténèbres.