D’abord, tentons de définir pour les lecteurs l’entrepreneuriat social... Ne soyons pas prétentieux et appuyons nous sur des références dans le domaine...
Aie.. Aucun n’en a la même définition ! Mmm... Celle qui me semble la plus consensuelle, après lecture, reste celle d’Alternatives Economiques :
quelques points communs essentiels : celui de mettre l’esprit d’entreprise au service de besoins sociaux ou sociétaux, celui de ne pas s’attacher à la question des statuts des organisations créées, celui de mettre l’accent sur l’état d’esprit et les moyens mobilisés, et de considérer l’initiative et l’innovation comme des facteurs majeurs du changement social. Par Anne Claire Pache de l’ESSEC
De là, on sent bien la volonté d’individus, utilisant les outils classiques de l’entrepreneuriat, d’atteindre des objectifs sociaux (Sociétaux serait peut être plus explicite ?). Et comme on trouve sur le site de l’AVISE [1] "Elles [Les entreprises sociales] combinent ainsi leur projet économique avec une finalité sociale et/ou une gouvernance participative". Les éléments décrits dans la définition de Mme Pache me conviennent presque totalement...
- "l’esprit d’entreprise" est à prendre comme une manière d’être non assistée et de savoir aller chercher les financements parmi une multitude de partenaires et clients. Quitter le "dogme du financement public associatif" est la voie pour s’en sortir.
- "ne pas s’attacher à la question des statuts des organisations créées" : comme je le dis dans mes interventions, "le statut préserve, mais ne garantit rien !" [2]. Le statut associatif ne garantit en rien un dialogue social étendu, des conditions de travail épanouissante, un management à la hauteur, des salaires acceptables, mais il préserve des espaces de discussions et de décisions collectives... Si tant est que le collectif veuille se les approprier et utiliser les moyens pour dénoncer...
- "celui de mettre l’accent sur l’état d’esprit et les moyens mobilisés" : Cette phrase serait à couper en deux pour moi. Mettre l’accent sur les moyens mobilisés, je le traduis par être exemplaire sur la formation interne, sur les investissements permettant une meilleure prise en compte des salariés sur leurs postes de travail, avoir de bons outils efficaces, ... Par contre, mettre l’accent sur l’état d’esprit est un critère d’une subjectivité importante. Cela me renvoie à une distinction manichéenne entre le bon ouvrier et le mauvais ouvrier, le dernier n’aurait pas ce "bon esprit" qui permet à l’entreprise de se développer, niant l’encadrement de la vie sociale dans un code du travail issu de négociations et de mobilisations progressistes.
- "considérer l’initiative et l’innovation comme des facteurs majeurs du changement social" : que l’innovation soit facteur de changement, je reste dubitatif... L’initiative itou... La mécanisation agricole du début du 19ième a certes permis de nourrir les populations ouvrières du début de la révolution industrielle, mais a aussi profondément l’esprit des campagnes ("Enclosure" anglais), passant d’une solidarité rurale à une parcellisation capitaliste des terres. Et elle a conduit à l’exode des ouvriers paysans vers les villes, entrainant fléaux sociaux et sanitaires. Non, l’innovation n’est pas bonne en soi, par nature, elle n’est bonne que si elle est tournée vers l’amélioration globale des conditions de vie. La prise en compte du triptique "développement durable" (Humain, environnement, économique) est une vraie innovation dans les politiques, si et seulement si, les trois sont réunies. Sinon, c’est du développement économique, ou de l’assistanat social ou de l’écologie.
- "au service des besoins sociaux ou sociétaux" : Même si je suis un sectaire par rapport à l’entreprise classique. Je réfute l’idée même qu’une entreprise classique, type SARL ou SA, puisse avoir un autre objectif qu’un but lucratif. On me rétoquera par l’exemple [3] du créateur d’entreprise "sociale" qui ne s’est pas payé pendant 6 mois [4] pour payer ses traites et les salaires de sa comptable... Oui, et après ? Se lancer en entrepeneuriat était un choix personnel, de sa part. La prise de risque doit elle être saluer comme "le gladiateur avant le combat qui allait trucider ou se faire trucider" ? La prise de risque est elle la seule façon de prouver que le projet était bon.
Soit. Admettons. Posons comme paradigme que seule la prise de risque est la preuve de la justesse de la réponse sur le marché. Qu’est ce qui empêche notre "preneur de risque" de la jouer collectif ? En SCOP ... 2 preneurs de risque minimum ... En association ... Plusieurs... Ai je moins de responsabilité en tant que délégué général de Ressources Solidaires vis à vis de mes collègues ? Le CA de Ressources Solidaires partagent ils moins de risques à ne pas pouvoir payer les salariés dont ils sont responsables légalement ? Effectivement, on peut penser que le directeur de l’association subventionnée à 100% comme peuvent l’être des assos du médico social, prend moins de risques économiques, puisqu’il n’a pas à se préoccuper de la ligne recettes, sauf dans la demande de subvention. Mais il n’est pas entrepreneur social... Il ne répond pas à un manque sociétal par le marché.
Ce qui me chagrine dans l’histoire de cet entrepreneuriat social, c’est la vision très libéral (économiquement) de cette forme d’entreprise. Sans faire mon gauchiste passéiste de base, les idées socialistes du 19ième siècle (K. Marx) pronaient une collectivisation des moyens de production, les différents courants du socialisme s’écharpant dans les moyens pour y parvenir. Marx a conduit sa théorie politique sur le "capital collectif". Ce capital collectif que Gide appellera le capital social de l’entreprise coopérative. Et, si vous me permettez cette pirouette dialectique, ce capital va devenir un patrimoine social après quelques mois (12) en montant au bilan dans les réserves [5].
"Il est dû à l’ouvrier plus que son salaire" rappelle Jean Dollfus. L’économie sociale est la manière dont on pense différemment la répartition des pouvoirs et de l’argent. Dans une association, une mutuelle, une coopérative, le modèle oblige à la répartition différente en introduisant une démocratie et une non redistribution individuelle des bénéfices. L’entreprise n’en a aucune obligation.
Et l’entrepreneuriat social ? Les critères qu’il édicte (lui même) parlent de meilleurs ratios de salaires (le plus faible et le plus élevé), de plus value environnemental, d’objectifs sociaux, ... Mais quid du patrimoine social ? Développé certes par le risque initial, mais aussi par le "sang et la sueur des acteurs internes" qui ne sont pas toujours ceux qui en retireront le bénéfice à la vente ! Le capitalisme paternaliste du début du 20ième ne pouvait il pas être assimilé à un "entrepreneuriat social de maintenant" ? Non, bien entendu, car les objectifs ne sont pas sociaux... N’ont pas vocation à satisfaire un manque social... Cela induit que le social est marchandisable et peut être mis sur le marché ? Les tenants des SSIG doivent se poser des questions. D’autant que les soutiens et relais des défenseurs des SSIG sont beaucoup issus de l’ESS !
J’ai un réel soucis à comprendre cette notion d’entrepreneuriat social autrement que dans un cadre collectif, de non lucrativité et d’absence de capital réparti entre individus, ce dernier élément étant carrément rédibitoire pour moi !
Le patrimoine social, constitué à partir entre autres du capital social, doit être indivisible et non répartissable auprès d’individus. Là est ma ligne de fracture entre un capitalisme édulcoré et la vraie alternative que représente l’économie sociale et solidaire.
Mais, au delà de ce billet maladroit probablement, pas assez argumenté, pas assez ténu pour tenir la discussion, c’est aussi le ras le bol d’un militant associatif qui défend un autre modèle d’entreprise, l’entreprise associative, collective et efficace. Non, on peut être de valeur et rentable sans utiliser les mêmes outils que ceux dont on voudrait se distinguer : les patrons de l’économie traditionnelle.
A moins qu’on ne le veuille pas tant que cela...
L’entrepreneuriat social n’est pas le fait pour une entreprise de satisfaire par le marché à un objectif social, mais bien aussi d’appliquer un sens, des pratiques et une autre répartition des pouvoirs et richesses.
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