Allons-y avec la quatrième de couverture : Jean-Nicholas Legendre, grand reporter pour la télévision québécoise se rend en Haïti pour y suivre la trace des narcotrafiquants colombiens et enquête sur leurs liens avec les gangs de rue de Montréal et le régime du président haïtien. Et qui a écrit cette histoire ? Le journaliste Michel Jean, co-animateur de l’émission J.E. qui a couvert plusieurs sujets dont la guerre en Iraq et la crise en Haïti. C’est son premier roman.
Je fais le parallèle entre l’histoire et l’auteur parce que, justement, c’est au départ ce qui m’a dérangé. Dès les premières pages, nous sommes à Port-au-Prince sous le régime de Jean-Bertrand Aristide, et ce mixte de la réalité (utilisant les vrais noms) avec la fiction m’a empêché de plonger. Comprenez-moi, ce n’est pas la sempiternelle question du vécu ou non, c’est plutôt cette impression de suivre un reportage, aussi palpitant soit-il, qui m'a tenu dans un état de lectrice de journaux, sollicitant mon côté rationnel. Et pourquoi pas, puisque c’est tout probablement un choix de Michel Jean ? À ce compte-là, j’avoue que c’est une affaire de goût ...
La deuxième partie est venue me chercher un peu plus. À son retour au Québec, à la sortie du vidéo choc qu’il a tourné au risque de sa vie, le journaliste Legendre subit des secousses sismiques dans sa vie personnelle et professionnelle. Au travers des dédales de cette sensationnelle affaire de trafic de drogues, j’ai aimé que l’auteur fasse une place de choix à son amour infini pour sa femme et sa fille, autant qu’il a fait état de son attirance pour Bia, une haïtienne énigmatique, prostituée de luxe. Je me suis un peu rapproché du journaliste, mais pas au point d’être fusionnel, loin de là. Pourquoi cette distance qui a perdurée jusqu’à la fin ? Comme dans la vie, c’est une question d’atomes crochus, pourquoi prendre à cœur les déboires d’une personne et seulement compatir avec ceux d’une autre ? Pourtant, quand l’histoire est au « je », j’ai tendance à la recevoir comme une invitation à me rapprocher du personnage, surtout quand celui-ci prend beaucoup de place par un partage généreux d’émotions et de sentiments. Les plus fortement décrits sont l’attirance sexuelle et le rebond vital de la vengeance. Laisser palpiter son coeur sous la pulsion sexuelle fait circuler le courant de vie en nos veines, la vengeance encore plus. Par la rage dans laquelle la vengeance puise. J’ai plus ou moins embarqué dans cette rage folle, au même titre que j’ai loupé des rendez-vous avec certaines circonstances très hasardeuses, comme l’accident de Bia. C’est beaucoup en mettre sur le dos du destin.
Je crois que j’aurais préféré que l’auteur s’oublie, s’efface derrière son personnage de journaliste. Je ne l’ai pas senti assez emporté par son histoire. Pourtant l’habileté de raconter est présente et certaines envolées confirment un amour infini des mots. Par exemple, les descriptions de Montréal sous la neige m’ont frappée par leur justesse.
Si j’ai apprécié l’épisode « rédemption » c’est que celle-ci coïncide avec mes valeurs. Le parallèle de similitudes d'énergie entre ses deux « familles femmes », c'est audacieux, loin du cliché, mais j'ai dû fournir un effort pour y croire. Il y avait là de la matière (de la belle matière d’ailleurs !) à en faire tout un roman, mais diluée dans une spectaculaire enquête à puissantes retombées mondiales, une saveur saugrenue s'en dégage.
Une fois la couverture et la poussière retombée, j’ose conclure qu’il apparait difficile de vivre à fond son élan de romancier en se tenant si près de son vécu.
Un monde mort comme la lune – Michel Jean. Libre Expression. 254 p.