J’ai déjà discuté du fait que, dans un réseau, ce ne sont pas les éléments qui sont importants mais plutôt comment ils sont connectés les uns aux autres. C’est justement le concept derrière les grappes industrielles, qui tentent d’établir des ponts entre des intervenants qui ne se parleraient pas naturellement. L’objectif est de créer des réactions entre les éléments et idéalement créer une masse critique d’interaction pour que le phénomène s’entretienne par lui-même. Un exemple de grappe est le CRIAQ, qui regroupe les intervenants du secteur aérospatial québécois : grandes entreprises, PME, universités, centres de recherches et étudiants. Des événements et du financement sont mis en place pour favoriser les collaborations. J’ai discuté cette semaine avec Clément Gosselin (Laboratoire de robotique de l’Université Laval) , Martin Duchaîne (TechnoMontréal) et mes collègues de Robotiq de la possibilité d’une organisation de ce genre pour la robotique au Québec. Voici un résumé de notre échange.
Pourquoi une grappe québécoise en robotique?
- La nature de la robotique
La robotique est un des domaines du génie les plus multidisciplinaires. Pour faire des robots, on a besoin d’expertise pointue dans différents domaines qui doivent s’intégrer. Il y a un mouvement de standardisation dans la robotique en ce moment. Au lieu de réinventer la roue chacun de notre côté, il faut concevoir de façon modulaire pour pouvoir intégrer nos composantes à d’autres applications.Par ailleurs, les robots, comme les ordinateurs, peuvent être utilisés comme outil par différents domaines. Il serait donc intéressant d’avoir une organisation officielle pour favoriser les interactions avec d’autres secteurs d’activité comme la médecine, le militaire, la manufacturier, la réadaptation, etc. C’est à ce moment que les applications vraiment intéressantes naissent.
- Masse critique latente
Il y a au Québec une masse impressionnante d’expertise en robotique, répartie dans différentes organisations. J’en avais fait un résumé dans cet article sur la robotique au Québec. Il y a des laboratoires universitaires, centres de recherche publics incluant deux lieux uniques au monde (Institut de recherche d’Hydro-Québec et Agence Spatiale Canadienne), plusieurs intégrateurs et quelques entreprises. Il existe déjà quelques collaborations intéressantes. Une grappe permettrait de les intensifier. - Les intérêts pour le Québec
Le marché mondial des plates-formes robotiques est aujourd’hui évalué à 20 milliards de dollars. Les analystes prédisent qu’il triplera d’ici 15 ans. La province a la chance de capitaliser sur sa grande expertise pour se tailler une place dans cette niche. Comme le jeu vidéo et l’aérospatiale, deux secteurs importants de notre économie, la robotique est un secteur à forte valeur ajoutée basé sur le savoir.Pour continuer la comparaison avec le jeu vidéo et l’aérospatiale, la robotique a cet intérêt supplémentaire : elle peut contribuer directement à la compétitivité de tous les secteurs de notre économie, particulièrement le secteur manufacturier. Le Québec a la chance d’avoir encore une diversité et une vitalité de ses entreprises manufacturières. Cependant, tout le monde sait qu’il est précaire en ce moment, principalement à cause de la compétition de pays où la main d’œuvre est au moins un ordre de grandeur moins chère. Il le sera encore plus dans 5 à 10 ans lorsque la structure de notre démographie créera un grand vide sur le marché du travail. La robotique sera obligatoire pour la survie de plusieurs entreprises québécoise. Aujourd’hui, la densité de robots / travailleurs est plus petite au Canada que dans la plupart des autres pays industrialisés. Nous avons donc un important retard à rattraper. De plus, les robots d’aujourd’hui ne sont pas faits pour nos entreprises, qui fabriquent pour la plupart de petites à moyennes séries. Voilà une réelle opportunité de développer des technologies qu’on pourra exporter, mais qui pourront servir à la maison.
Le dernier point en faveur d’un pôle robotique québécois est au niveau du recrutement des étudiants pour des carrières en sciences et en génie. À notre époque, la robotique attire les jeunes plus que n’importe quel autre domaine de génie. Une des missions du pôle pourrait être de développer des programmes d’initiation à la robotique au secondaire et au CÉGEP qui serviraient l’ensemble des programmes de génie.
Les défis de former une telle organisation
Tout ça est bien beau, mais ce n’est pas fait. Voici quelques défis qu’on peut d’ores et déjà identifier :
- Le tissu industriel encore à compléter
Contrairement à d’autres industries qui se sont organisées, il n’y a pas de grosses entreprises en robotique au Québec. Cet élément complexifiera le financement de la grappe et son influence auprès des gouvernements. - Le fossé entre les intervenants
Pour avoir visité quelques entreprises manufacturières et avoir rencontré de nombreux intégrateurs, je confirme qu’il y a un monde entre la réalité des centres de recherche et celles des entreprises touchant à la robotique en ce moment. Il faudra trouver le fil conducteur pour que tous voient l’intérêt de collaborer au jour un. - Qui prend le leadership?
S’il y avait de grosses compagnies québécoises en robotique qui avaient peur de la concurrence mondiale, ils auraient les ressources et les motivations de prendre ce dossier en main. Mais ce n’est pas le cas. Pour ce qui est des centres de recherche, ce n’est pas leur mandat et ils sont pour la plupart auto-suffisants en fonds de recherche. Reste donc les organisations comme TechnoMontréal, le peu d’entreprises déjà en place et, surtout, le secteur manufacturier québécois qui doit se réveiller.
Il existe déjà des grappes en robotique formées naturellement autour des grands laboratoires américains (Boston / MIT, Pittsburgh / Carnegie Mellon, Silicon Valley / Stanford). Plus ce genre d’organisation nait tôt, plus le temps joue en sa faveur. Nous avons encore la chance de pouvoir se donner une masse critique et de profiter de notre proximité avec eux. Qui embarque?