Sin Nombre et La Vida Loca : au coeur des Maras en Amérique centrale

Publié le 29 octobre 2009 par Bricabraque

Un film magnifique du jeune réalisateur américain Cary Joji Fukunaga est actuellement en salles en France. Le réalisateur est originaire d'Oakland en Californie mais vit à New York. Son père est d'origine japonaise et sa mère d'origine suédoise. Il a vécu dans plusieurs pays dont le Mexique. C'est justement dans le sud de ce pays, au Chiapas, qu'il nous emmène avec Sin Nombre. Nous suivons deux histoires parallèles de jeunes latino-américains qui vont se croiser sur un train en route pour El Norte : les Etats-Unis, eldorado tant désiré en Amérique Centrale. Sayra est une jeune fille qui vit à Tegucigalpa, capitale du Honduras. Séparée de son père remarié, elle le retrouve après plusieurs années pour gagner les Etats-Unis. Willy  "Casper" vit au Chiapas, il fait partie d'une clica (cellule locale) de la Mara Salvatrutcha. Entre violence imposée et subie (la sienne et celle de ses supérieurs) et désir normal d'adolescent de son âge, il dispose de peu de liberté. Le film est très sombre et en même temps plein d'espoir. Il montre l'Amérique latine dans sa réalité sociale sordide, celle des bidonvilles (image saisissante à Tegucigalpa), de la pauvreté, de la drogue, de la violence omniprésente et insupportable. Il nous montre aussi ce que peuvent représenter les Etats-Unis pour ses jeunes sans espoir de s'en sortir là où ils ont grandi.

  

Pour "Sans Nom" (Sin Nombre), Fukunaga a lui-même parcouru le Mexique, n'hésitant pas à monter sur le toit de ces trains de marchandises que les migrants empruntent vers le Nord. Il y a vu la violence et la cruauté parfois à l'oeuvre, mais aussi la solidarité. Question récurrente : "Pourquoi partent-ils ?" Fukunaga répond dans une interview au LA Times en donnant cet exemple d'un Hondurien qui ne gagnait que 3$ par jour dans son pays et qui peut en gagner 13 dans la construction aux Etats-Unis. "Ce n'est pas parce qu'il pense que nos rues sont pavées d'or, ce n'est pas parce qu'il pense que tout sera rose." Il s'est également rendu en prison pour rencontrer des membres de gangs. Pour jouer les rôles principaux, il a choisi deux jeunes acteurs remarquables. Ironiquement, Paulina Gaitan qui joue l'Hondurienne Sayra est mexicaine et Edgar Flores, qui joue le jeune Mexicain, vient du Honduras. C'est son regard qui a séduit Fukunaga. Ces deux jeunes acteurs ont su donner au film toute sa force.

Pour prolonger le film, voici ce que j'aurais aimé savoir en sortant de la salle de projection...

L'immigration hispanique aux Etats-Unis

Le Mexique est le pays qui compte le plus de ressortissants aux Etats-Unis avec plus de 26 millions de personnes (chiffres de 2004). Viennent ensuite les Philippines et l'Inde. Les Hispaniques représentent aujourd'hui 15 % de la population américaine. Depuis 2000, ils sont plus nombreux que la minorité noire (12% environ). La carte ci-dessus vous indique leurs régions d'installation privilégiées : les grandes métropoles et le Sud-Ouest (qui correspond d'ailleurs aux Etats appartenant au Mexique jusqu'au XIXème siècle...).

Parmi les Hispaniques, les Porto-Ricains (Etat associé aux Etats-Unis) sont plus de 3 millions, les Cubains 1,5 millions (en particulier en Floride), les Salvadoriens 1,2 millions et les Dominicains 1 million. Les autres pays comptent moins d'un million de leurs ressortissants aux Etats-Unis. Les Guatémaltèques sont 0,7 millions, les Honduriens 0,5 et les Nicararaguayens 0,3.

 Qu'est-ce que les Maras ?

Les Maras sont des gangs transnationaux formés de jeunes. Ils sont implantés dans toute l'Amérique centrale et aux Etats-Unis. Ils ont été formés dans les années 1980-1990 après la fin des guerres civiles qui ont frappé les pays d'Amérique centrale pendant la Guerre froide. Les deux principaux sont la Mara Salvatrutcha 13 (MS13) à laquelle appartient le héros du film et la Mara 18 (M18). Ils tiennent ces numéros des rues de Los Angeles où ils auraient été créés. Rien n'est sûr cependant sur leurs origines. Il s'agit peut être au départ de groupes d'autodéfense des migrants. Après les émeutes de Los Angeles en 1992, de nombreux centre-Américains sont expulsés des Etats-Unis. Coïncidant avec la fin des guerres civiles, en particulier au Salvador, cet évènement ramène au pays de nombreux jeunes affiliés aux gangs.

Très implanté au Honduras et au Nicaragua, la plaque tournante de ce réseau est néanmoins le Salvador en raison du nombre important de Salvadoriens aux Etats-Unis, en particulier en Californie.

L'entrée dans la clica d'une mara se fait entre 9 et 12 ans, la moyenne d'âge des mareros étant de 17-20 ans. C'est un milieu essentiellement masculin (à 90%). Les jeunes mareros ont souvent été victimes de violences domestiques, connaissent la prison, mais la plupart savent lire et écrire. L'entrée dans une clica n'implique pas l'arrêt de l'école. Avec le temps, les maras ont pris de l'ampleur et leur activité s'est criminalisée (Trafic de drogues et de clandestins vers le Nord notamment). Les responsables sont devenus de véritables professionnels. L'un des signes distinctifs de l'appartenance, les tatouages, a d'ailleurs tendance à se faire plus discrets pour ne pas se faire repérer. Les maras ont en effet de nombreux rites (salutation, initiation par la violence subie ou à accomplir, souvent le meurtre) à l'image des mafias.

De nombreux débats agitent les sociétés centre-américaines sur les origines et la véritable ampleur du phénomène. Les maras sont-elles les seules responsables de la criminalité ? Faut-il employer la manière forte ou la prévention pour réduire leur importance ?

Si le Salvador et le Honduras comptent le taux d'homicide le plus important de la région (55 pou 100 000 habitants), la violence n'est pas le seul fait des maras. Depuis le 11 septembre, les partisans de la manière forte ont trouvé un allié dans le gouvernement américain qui y voit un véritable problème de sécurité nationale. Les anciens mouvements armés de gauche des années de la Guerre froide, aujourd'hui devenus partis politiques, voient une permanence entre les méthodes des militaires et des compagnies de séccurité privée qui prolifèrent aujourd'hui (éxécutions extra-judiciaires) et celles du passé. La réponse à la violence par la violence ne semble en tout cas pas porter de fruit comme au Salvador, malgré l'aide des Etats-Unis. Au contraire, elle a renforcé la cohésion des maras. Le Nicaragua et le Honduras misent davantage aujourd'hui sur la prévention avec des résultats plus probants. Reste la difficulté de la réinsertion, comme après les guerres civiles, de ces jeunes habitués dès leur plus jeune âge à une violence sans limite.

Un photographe et réalisateur français, Christian Poveda, a été assassiné le 2 septembre 2009, probablement par un membre de la Mara 18. Il enquêtait sur les maras. Son film La vida loca, est sorti le 30 septembre. C'est un documentaire sur cet univers des gangs d'Amérique centrale. N'hésitez pas à donner votre avis si vous l'avez vu. Voyez ci-dessous la bande-annonce du documentaire.

Des liens

  • Ma source principale sur les Maras : Jan Anders et Bruno Cousin, "Amérique centrale : Maras, répression ou prévention ?", Alternatives internationales, n°34, mars 2007
  • Une étude du bureau du recensement américain (US Census) The American Community : Hispanics-2004 (paru en 2007, PDF)
  • Des photographies de Christian Poveda parues dans Le Monde 2. Le site de La vida Loca.
  • Pour en savoir plus sur l'histoire et la géographie des mafias dans le monde grâce à des lectures et au rappeur Akhenaton.
 
LA VIDA LOCA - BANDE-ANNONCE

[Cartes réalisés par E.A. à partir des données du recensement des Etats-Unis et de l'Atlas de l'Amérique latine dirigé par Olivier Dabène, Autrement, 2006]

Original post blogged on b2evolution.