Un espoir avec Mitterrand qui promettait le droit de vote aux immigrés et une déception qui demeure aujourd’hui. Une autre déception avec les promesses de 1987 de Chirac : un chèque de 100 000 francs aux immigrés qui repartiraient chez eux…C’était nous redire que nous n’étions pas français, que nous devions retourner « chez nous ». Dur. Je passe sur les discours lancinants de Le Pen sur « les immigrés », leurs maux, leurs pestes…
Pendant ce temps, les années passent à baigner dans la société. On absorbe sans même s’en rendre compte, on s’imprègne. Les « retours au pays » se font pendant les vacances. Le pays d’origine n’est en fait qu’une destination estivale. Lorsque l’on croit retourner « chez nous », on se retrouve dans la peau d’un touriste, tout juste de passage. On ne devrait plus parler d’immigrés d’origine maghrébine, mais de transméditerranéens. Les immigrés sont davantage constitués par leurs voyages, leurs parcours, leur aller et retour transumant, que par leur seul pays d’origine.
On comprend une chose sur ce chemin : c’est que l’école est importante, peut-être même le seul véhicule pour avancer. L’école donne les mots et les bagages pour être capable de mener une réflexion, pour exprimer les choses avec nuance (c’est ce dont manque le discours sur l’identité de manière générale). Tout en avançant là, il faut aussi s’être approprié son passé et celui de ses parents, en être fier. Si l’on avance pas sur ces deux pieds, on bute face à l’incapacité de pouvoir se raconter et cela conduit à la violence.
Permettez-moi aussi une petite digression sur le mot « intégration » derrière lequel on se cache. La France se targue « d’intégrer » parce qu’elle a peur d’employer le mot véritable : l’assimilation. On peut parler d’intégration sur une période courte, mais à terme, « l’intégration » n’est qu’une étape qui mène invariablement vers « l’assimilation » sur une, maximum deux générations. Qu’elle l’assume ! Pour ma part, je n’y vois pas d’inconvénient. Le temps et la maturité m’ont fait accepter cette dilution, cette petite part de moi-même qui s’effacera, dans le grand chaudron national.
Je vais conclure car ce mot est bien trop long, l’identité comme les humains qu’elle concerne est une notion dynamique. Elle évolue au fur et à mesure des situations, des rencontres, de l’âge, des états de la vie. L’identité est tout sauf une notion statique. C’est un sentiment fugace qui disparaît à la minute même où l’on cherche à la définir.
Mustapha
[ComEdité paru sur la note : “La crise de l’identité nationale “]
A la suite de ce commentaire, l’auteur de la note initiale avait souhaité publier une réponse :
Le témoignage de Mustapha est émouvant. Quel beau texte ! Mustapha a raison : nous évoquons l’intégration ; c’est d’assimilation dont nous devrions parler. Mais nous avons peur de nous-même. De ce qui nous sommes ensemble. « L’intégration n’est qu’une étape qui mène invariablement vers l’assimilation sur une, deux générations ». Et Mustapha d’ajouter, dans une formule qui rejoint, de nos jours, l’idéal républicain de Paul Bert- et qui me comble : j’accepte « cette dilution, cette petite part de moi-même qui s’effacera, dans le grand chaudron national ». Tel était le creuset républicain. Il est aujourd’hui menacé. J’ai entrepris une biographie de Paul Bert : « Paul Bert, l’idéal républicain ». Député d’Auxerre de 1872 à 1886 – date de sa mort-, disciple de Gambetta, ministre de l’Instruction publique et des Cultes dans le ‘’grand ministère’’ de ce dernier, il a fondé la République sur l’école laïque, « lieu où se cimente l’unité nationale, où la langue commune, l’instruction commune, où le respect et l’amour de la patrie, de ses institutions, de ses lois, où les bases de la démocratie enseignées en commun fondent, dans une merveilleuse sérénité, sans leur faire perdre leur caractère d’originalité, tous les éléments dont se compose la Nation ». Paul Bert mettait en premier plan de l’instruction publique l’instruction civique, dont il a jeté lui-même les bases dans un manuel destiné aux instituteurs de France. Dans l’avant-propos de son manuel, Paul Bert résumait ainsi la mission de l’instruction civique et morale : « Si nous devons d’abord, dans l’école, former des hommes et des femmes dont l’âme, fortement trempée, ne subordonne pas l’idée de la morale aux croyances religieuses, notre premier souci doit être ensuite d’y former des citoyens ». Selon lui, l’instruction civique est au-dessus de toutes les autres matières : les langues, la littérature, les sciences sont à son service. « Rien de tout cela n’est l’éducation : C’est la matière de l’éducation ; ce n’est pas l’éducation elle-même ». Cet objectif a été perdu de vue depuis plusieurs décennies, ce qui explique en partie la crise actuelle que nous vivons.
Fonder dans un ensemble des hommes et des femmes divers, qui conservent leur originalité, assument leur différence : je dédie cet objectif, qui fondait l’idéal républicain de Paul Bert, à Mustapha.
Jean-Pierre Soisson
Ancien Ministre d’Etat
Député de l’Yonne
Clin d’oeil de Makhno :