Sur l’étalage d’une librairie j’ai vu ce livre, "Une passion dans le désert" de BALZAC illustré par Paul JOUVE.
Qu’elle ne fut pas ma surprise en découvrant une nouvelle très courte : une scène de domptage d’une hyène et une rencontre avec un vétéran de la campagne d’Egypte qui confit le souvenir de sa proximité, échappant à ses ennemis dans le désert, avec une panthère. Cette fascination pour l’animal, cette délectation entre le spectacle de la toute puissance animale et la peur de ne pas y réchapper m’a fait oublier un temps que le récit était tendancieux.
En suivant ces quelques jours dans la grotte en compagnie de cette bête féroce, nous sommes invités à vivre dans le désert, son immobilité, sa chaleur, ses tempêtes de sables, sa faune et ses délices…dattes gonflées… . La seule présence étant animale, la solitude humaine apparait dans toute sa noblesse : « La solitude lui révéla tous ses secrets, l’enveloppa de ses charmes. Il découvrit dans le lever et le coucher du soleil des spectacles inconnus au monde. Il sut tressaillir en entendant au dessus de sa tête le doux sifflement des ailes d’un oiseau, – rare passager ! – en voyant les nuages se confondre, – voyageurs changeants et colorés ! Il étudia pendant la nuit les effets de la lune sur l’océan des sables, où le simoun produisait des vagues, des ondulations et de rapides changements. Il vécut avec le jour de l’Orient, il en admira les pompes merveilleuses ; et souvent, après avoir joui du terrible spectacle d’un ouragan dans cette plaine où les sables soulevés produisaient des brouillards rouges et secs, des nuées mortelles, il voyait venir la nuit avec délices, car alors tombait la bienfaisante fraîcheur des étoiles. Il écouta des musiques imaginaires dans les cieux. Puis la solitude lui apprit à déployer les trésors de la rêverie. Il passait des heures entières à se rappeler des riens, à comparer sa vie passée à sa vie présente. Enfin, il se passionna pour sa panthère. »
*source Mignonne, Paul JOUVE
Le français apprivoisa la férocité de la panthère, du moins en apparence, elle jouait comme un jeune chien : « Il essaya de jouer avec les oreilles, de lui caresser le ventre et de lui gratter fortement la tête avec ses ongles ; et, s’apercevant de ses succès, il lui chatouilla le crâne avec la pointe de poignard, en épiant l’heure de la tuer ; mais la dureté des os le fit trembler de ne pas réussir. La sultane du désert agréa les talents de son esclave en levant la tête, en tendant le cou, en accusant son ivresse par la tranquillité de son attitude. »
Mais il y avait un malaise dans la lecture, une sorte de sensualité hors de propos…et les ambigüités étaient nombreuses : Mignonne, la panthère, était aussi belle qu’une femme, le français avait appris à reconnaître toutes ces mimiques et son rourou aux caresses de son invité. Une passion dans le désert peut être vue comme une passion (pourquoi n’avais-je pas compris dès le titre ?), l’unique passion de cet homme, une sensualité aboutie, sexuée… une passion quand la vie se trouve en dehors des hommes.
Il y avait bien cet incipit : « - Ce spectacle est effrayant ! » et cette accroche sur le pouvoir du dompteur : « - Connu ! –Comment connu ? ». Il m’a fallu lire la postface de Philippe BERTHIER pour mieux comprendre. Il reprend ce texte :
«(…)
Peut-être avez-vous vu dans le cirque hippodrome
Martin, l’imitateur de l’Androclès de Rome,
Entre ses deux lions s’avancer triomphant ;
Son œil fascinateur domptait les bêtes fauves,
Il entrait, sans pâlir, dans leurs sombres alcôves
Comme dans un berceau d’enfant.
Aujourd’hui, nous avons la clef de ces mystères ;
Il se glissait, la nuit, au chevet des panthères,
Sous le linceul du tigre il étendait sa main ;
Il trompait leur instinct dans la nocturne scène
Et l’animal sans force à ce jongleur obscène
Obéissait le lendemain.
Voilà par quel moyen l’Onan du ministère
Enerve de sa main l’homme le plus austère,
Du tribun le plus chaste assouplit la vertu…
(…) »
(quelques strophes du poème de BARTHELEMY, « Le Député ministériel »)
L’accueil de cette nouvelle avait été bon même pour le premier public puritain… car il n’avait pas lu entre les lignes cette obscénité des méthodes de domptage, cette infériorité de l’homme sur l’animal… et ce passage à l’acte sous-entendu. La passion charnelle comme un acte divin sans les hommes…je vous laisse découvrir le reste seuls.
Cette nouvelle me plut même si cette deuxième lecture me perturba un peu, moi qui comprends la sensualité mais peu le passage à l’acte nécessaire. Elle me plut d’autant plus qu’elle était accompagnée par les dessins de Paul JOUVE. Et puis elle a eu le mérite de reprendre la réflexion sur ce qui fait notre attraction quelque fois charnelle aux animaux sauvages. De quoi reprendre le billet sur les animaux féroces imaginaires d’une autre manière aussi. Cela ne m’empêchera pas de frissonner au rourou de ses félins, moi, connaissant le secret de ce ronronnement rauque et chaud propre aux grands félins.
*source Mignonne, Paul JOUVE (couverture de mon édition)
Vous pouvez lire la nouvelle complète ici et vous délecter du travail de Paul JOUVE très légèrement là. Mignonne est à considérer comme un personnage féminin de l’œuvre de BALZAC à part entière nous dit-on. A vous de lire!