La grande mode sur internet, ce sont les classements. Les Top ceci, les 20 plus grands cela, les 15 manières de..., les 100 premiers.... Parfois, c'est pertinent ; le plus souvent, c'est assez fatigant. Car à quoi bon vouloir classer absolument une réalité informe et changeante. Je n'aurais pas le temps de développer ici, mais cette manie du classement n'éclaire en rien la réalité. Elle ne produit qu'une vague photo instantanée qui nous écarte de l'essence des choses. Ainsi, je suis résolument contre les classements du style "de tous les temps": le plus grand sportif de tous les temps, la plus grande chanteuse de tous les temps, les plus grande audiences de tous les temps... On s'extasie devant les performances télévisuelles engendrées par la mort de Michael Jackson, et on oublie que Diana a fait bien mieux, si je puis dire, dans ce domaine. Il faut absolument prouver quelque chose, et moi je pense qu'il n'y a rien à prouver. Qu'il faut prendre tout cela avec beaucoup de distance.
Il faut dire aussi que j'ai une incapacité foncière à classer les choses. Surtout sur ce blog. J'essaie de faire comme tout le monde, mais je n'y parviens pas. Mes classements s'effondrent toujours au dernier moment. Mes thèmes ne vont jamais jusqu'au bout. Mes tentations de taxinomie finissent en eau de boudin. Je m'en suis aperçu à nouveau hier en faisant des photos. Cela a commencé comme ça. J'allais à un rendez-vous et, en passant, je vois deux électriciens qui réparaient des câblages électriques sur le trottoir, rue Etienne Marcel. Je les prends en photo avec mon portable.
Et là, je me dis «Tiens, des bonshommes ! Super idée : si je faisais des photos de bonshommes, là maintenant. C'est un bon thème, ça, les bonshommes. C'est facile à classer, ça, les bonshommes». Ni une, ni deux, je laisse mon portable ouvert et je mitraille tous les bonshommes que je vois. Comme cette peinture avec un bonhomme, à la devanture du restaurant Maceo.
«Pile dans le thème», me réjouis-je in petto. Au bout de quelques dizaines de mètres, je vois des bonshommes partout. Comme sur ce feu tricolore emmailloté (qui mériterait d'être exposé au musée du ready-made, soit dit en passant. C'est d'ailleurs ce que je fais : je me dis ça en passant devant...).
Je continue mon chemin, et je tombe, derrière un panneau indicateur, sur ce bonhomme de
Léo et Pipo, deux graffeurs qui reproduisent partout des photos anciennes.
Et puis j'arrive à mon rendez-vous, et là, les choses ont commencé à dégénérer. Car dans l'escalier de cet immeuble construit dans les années 1930, j'aperçois un tableau, plutôt dans le genre pompier, et je suis poli.
Je m'approche : des tas de bonshommes.
«Génial !», me dis-je en français et en moi-même, car dans ces moments-là, j'ai des dialogues intérieurs extrêmement riches. Des bonshommes à en veux-tu, en voilà ! Je vais me régaler. Je vais faire le classement du plus beau bonhomme de tous les temps. Enfin, c'est ce que vous croyez. Car à ce moment, j'ai commencé à m'intéresser au tableau... Et notamment aux bonnes femmes, pardon aux femmes du tableau. On n'est pas de bois...
Tant que j'y étais, j'ai regardé aussi de près les enfants. Je me suis dit que les malheureux avaient dû se fader un spectacle particulièrement pénible, et qu'ils n'avaient même pas eu le choix de faire ça ou de jouer à la DS, ou même de regarder Gulli.
J'ai regardé ensuite le nom du peintre, Georges Scott, un illustrateur spécialisé dans les images militaires, qui avait un talent fou et qui n'a pourtant fait que peindre des bidasses, des galonnés et des vieilles badernes. Et là, je vois les drôles de chaussures des bonshommes. Mon dialogue intérieur s'enrichit d'un sourire jusqu'aux oreilles...
Puis je regarde le fond du tableau, je vois que ça a l'air de se passer aux Tuileries (la Concorde et l'arc de Triomphe au fond).
Et pour finir, je détaille les bonshommes de la tribune officielle. Avec la date, on peut déduire que c'est le président
Gaston Doumergue, dit Gastounet, entouré d'autres bonshommes que j'aurais pris le temps d'identifier si mon rendez-vous n'était pas arrivé à ce moment là.
Entre temps, ma thématique de bonshommes, démarrée dans l'enthousiasme, s'est barrée en sucette et s'est terminée par un fiasco déprimant. Je me suis laissé déborder par ma curiosité. Il ne faut pas insister, dans ces cas-là. Ni aller contre sa nature. Comme disait ma grand-mère, les bonshommes, ça va bien cinq minutes. Les classements aussi.