Il était à Paris cette semaine à l'occasion de la sortie d'un nouveau volume traduit en français: le traité Makot. Dimanche 25 octobre, il a participé à un débat avec Jacques Attali modéré par le rabbin Josy Eisenberg.
Jacques Attali qui est devenu la nouvelle cible des fascisto-bourrins de la Ligue de Défense Juive et qui reçoit aujourd'hui des menaces de mort pour des propos avec lesquels on peut être en désaccord partiel mais qui ont le mérite de montrer que certaines institutions ne savent pas traiter ce problème autrement que de manière epidermique. Et qui devraient peut-être réagir de façon plus active aux attaques un peu indigne dont il est l'objet en ce moment.
Mais ce n'était pas le sujet. L'idée étant de réflechir à l'avenir du peuple juif et de l'Etat d'Israël. Devant cette gigantesque question, on retrouve d'abord la touche d'humour malicieuse qu'on connaît chez Adin Steinsaltz: "Finalement, il n'y a que deux endroits où le peuple juif a des problèmes à résoudre: en Israël et en Diaspora !"
Mais on reconnaît également son audace lorsqu'il ose parler de la disparition de l'Etat d'Israël: "Il y eut dans l'histoire de nombreux cas d'indépendance politique juive en terre d'Israël. Les royaumes de Juda et d'Israël, qui ont tous les deux disparus. Aujourd'hui l'Etat d'Israël est une nouvelle forme d'indépendance politique juive. Personne ne souhaite sa disparition. Mais si cela arrivait, l'important c'est de préserver l'avenir du peuple juif. C'est cela qui importe et de tous temps."
Je qualifierais cette sortie de Leibowitzo-Habadnik. Proche de Leibowitz qui, s'il attachait une grande importance à l'existence de l'Etat d'Israël, n'en faisait pas une valeur sacrée qu'il faudrait idolâtrer sans recul critique ni analyse à froid. Et quand on veut sauvegarder quelque chose qui nous est cher, il devient fondamental d'imaginer que ce quelque chose peut disparaître un jour si nous ne créons pas les conditions requises à sa pérennité.
Habadnik (du mouvement Habad, Loubavitch, duquel le Rav Steinsaltz est très proche), parce qu'il met l'accent avant tout sur l'existence du peuple juif et sur la conviction que chaque Juif compte, quel que soit son niveau de pratique religieuse ou de proximité avec la tradition.
A cela, le Rav Steinsaltz répond de différentes façons. D'abord par une petite parabole: "Lorsque vous voyez un chat, vous reconnaissez un chat. Si vous lui coupez les oreilles, vous avez quand même toujours un chat devant vous. Si vous lui coupez les pattes, c'est encore et toujours un chat. Et ainsi de suite. En revanche, quand on vous demande de dessiner un chat, vous ne le dessinez pas sans pattes, sans oreilles et sans moustache. Pour un Juif c'est pareil. Vous ne pouvez pas demander à un quelqu'un qui veut devenir Juif de s'affranchir de toutes les caractéristiques qui s'appliquent à un Juif, quand bien même de nombreux "Juifs de naissance" s'en seraient affranchis"
Ensuite en invoquant l'histoire et répondant à Jacques Attali qui affirmait que les conditions de conversion étaient jadis beaucoup moins contraignantes qu'aujourd'hui. Auparavant dit le Rav Steinsaltz (disons jusqu'au 19ème siècle et en cela il rejoint encore Leibowitz), un Juif qui se convertissait rentrait nécessairement dans un peuple bien distinct des autres peuples et acceptait de facto de prendre sur lui l'ensemble des pratiques de vie du peuple juif et notamment les Mitzvot. Ce n'est plus le cas du tout aujourd'hui. L'époque étant différente, les conditions de conversion changent nécessairement. Ce qui n'empêche pas, est intervenu Josy Eisenberg, de considérer que le mouvement de rigidification des conversions avait peut-être poussé le balancier un peu fort et qu'il ne serait pas idiot de le reconsidérer.
Il ne fallait pas se méprendre: malgré l'ouverture évidente du Rav Steinsaltz, son intérêt pour mille choses et sa propension à communiquer sur le judaïsme avec pédagogie, Adin Steinsaltz ne perd pas de vue le caractère subversif du Talmud et ça c'est une très bonne nouvelle.
Un petit exemple: le traité Makot parle notamment des punitions qu'un déclaré coupable est censé encaisser. Outres les amendes et compensations pécuniaires, le Talmud connaît la peine de mort (même si dans les faits, sa mise en pratique est quasiment exclue) et la flagellation.
Le Talmud ne connaît pas la prison. Et Adin Steinsaltz de justifier cela: "A quoi sert la prison ? A ce qu'une personne ne recommence pas son crime ? Mais si quelqu'un tue sa belle-mère, il n'aura aucune raison de recommencer ! A ce qu'il devienne une personne meilleure ? Pas gagné vu que les plus grands bandits ont fait leur principale formation en prison au contact d'autres détenus. Les coups de bâtons, c'est plus rapide et certainement plus efficace".
Le Rav Adin Steinsaltz est inclassable mais après l'avoir écouté on se dit que deux choses le font véritablement "vivre": l'avenir du peuple juif et la capacité qu'a l'homme d'être libre.