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Prix cassés, low cost... danger !

Publié le 28 octobre 2009 par Martinez

Remi Guillet

Cet article a été écrit par Rémi GUILLET aujourd’hui retraité. Ingénieur de l’Ecole Centrale Nantes (ex ENSM promotion 1966) il est aussi Docteur en Mécanique et Energétique (Université H. Poincaré-Nancy 1-2002) et diplômé en Economie/Gestion (DEA Université Paris 13-2001). Son activité professionnelle l’a amené à travailler essentiellement en recherche appliquée dans le domaine de la combustion. Il s’est fait notamment connaître pour ses travaux sur la « combustion humide », recevant un Prix « Montgolfier » des Arts chimiques en 2002 (Prix décerné par la Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale). Il a été en charge du secteur Energie/BTP au siège de OSEO entre 1995 et 1998

Aidées par des progrès technologiques considérables depuis deux siècles, les stratégies économiques se sont laissées guider par des défis « capitalistes » insatiables toujours plus exigeants en profits et toujours justifiés par l’intervention de la main invisible (1) » sensée optimiser pour le plus grand nombre le résultat de choix répondant à des intérêts individuels…

Comme corollaire, la loi du marché s’est imposée comme bienfaitrice, libératrice, libérale, capable de tout réguler au mieux… déterminante de prix optimisés.

S’appuyant alors sur les théories économiques pour jouer avec les volumes afin de faire baisser les prix, le fonctionnement de ce marché a engendré la société de consommation, acceptée par le plus grand nombre, conquis par les bienfaits d’un « toujours plus de biens matériels consommés »… mais faisant appel à toujours plus de ressources naturelles non renouvelables pour produire, transformer, transporter, vendre… et produisant toujours plus de déchets dégradant l’environnement…

Des présupposés « oubliés » qui nous ont menés à une dure réalité…

En effet,

-la théorie économique a oublié de considérer que notre planète était un milieu fini,

-la théorie économique a oublié qu’elle s’appuyait sur des ressources naturelles en quantité limitées et particulièrement les énergies fossiles dont elle a négligé d’apprécier
la « juste valeur économique » (2,3),

-la théorie économique a oublié de prendre en compte l’impact de l’activité économique sur l’écosystème (2),

-la théorie économique s’est mise d’emblée au service du « capital », oubliant que l’homme devait être au centre de ses préoccupations (4),

-la théorie économique n’a pas imaginé que l’iniquité du partage des richesses produites allait augmenter avec la croissance économique, in fine, mettant en péril la stabilité du monde et la cohésion sociale des Etats,

-la théorie économique n’a pas imaginé l’apparition d’un hiatus entre une économie financière « soda », virtuelle, génératrice de bulles, et l’économie réelle (5)…

Non, nous ne pouvons plus croire en l‘intervention vertueuse de « la main invisible » si largement exploitée par les économistes pour justifier une confiance absolue dans la capacité du marché à optimiser du point de vue de l’intérêt général les comportements individuels: une bévue comparable à celle faite à propos du coût écologique de l’activité économique.

Avec la société de consommation sont nées les associations de défense de consommateurs partisans d’une consommation à des prix bas, toujours plus bas…

Avec la crise que nous connaissons aujourd’hui les Pouvoirs Publics ont appuyé cette quête pour répondre au désir des consommateurs de « plus de pouvoir d’achat »…

Dans les deux cas on a oublié que, pour l’essentiel, consommateurs et salariés constituaient la même population, ne faisaient qu’un ! Que la course aux prix bas avait vite fait d’être nuisible aux salariés et à l’emploi… et ainsi provoquer de gravissimes déséquilibres sociétaux.

Prix cassés, low cost... danger !

crédit photo: RAAS

La problématique sociétale des prix cassés et autre discount…

… dans un contexte de mondialisation

Dans le contexte de « mondialisation » des échanges qui aujourd’hui concerne à peu près tout ce qui se consomme, faire chuter les prix, c’est assurément soutenir le développement des délocalisations, soutenir l’importation depuis les pays à faible coût de la main d’œuvre (du moins aussi longtemps que ne seront dissuasifs les coûts du transport des marchandises).

Ainsi consommer à prix bas est nuisible à l’emploi local ou national dans tous les secteurs de production : une évidence !

On met beaucoup d’espoir dans des activités de substitution comme « le service à la personne »… Alors on doit être attentif au fait que ce type d’activité n’a de chance de se développer que si le taux d’activité dans les autres secteurs, notamment dans le secteur de la production, reste suffisant, sinon le manque de ressources et la disponibilité trouvés au sein de chaque famille rendra improbable le développement de ce nouveau service. Par ailleurs, il est clair que les secteurs les plus susceptibles de participer à l’équilibre de la balance du commerce extérieur restent ceux de la production !

… dans un contexte de « grande distribution »

Dans un contexte de très forte concurrence entre grandes enseignes, on observe un écrasement des prix qui est en passe de détrôner les prix pratiqués dans les magasins spécialisés dans le « discount », avec des conséquences gravissimes pour l’emploi dans tout le secteur commercial et des répercussions dramatiques sur les fournisseurs.

Avec les dernières innovations technologiques, bientôt les grandes et moyennes surfaces désireuses de diminuer leurs coûts de fonctionnement, ne proposeront plus d’emplois de « caissière ». Avec la pratique des « marges arrière », les grandes chaînes et leurs centrales d’achats négocient avec leurs fournisseurs, sous peine de « dé référencement », des ristournes… qui selon F. Rullier, Directeur des études à l’Institut de Liaison et d’Etudes des industries de la Consommation (ILEC) représentaient 32 % des prix nets facturés en 2003 (tandis que d’autres sources mentionnaient pour certains cas des taux dépassant 60% !).

… dans un contexte de soldes quasi permanentes

De plus en plus massivement les consommateurs attendent désormais les soldes (par ailleurs en passe de devenir permanentes puisque nécessaires à la gestion des stocks et au chiffre d’affaire des commerçants !) pour commettre leurs achats non alimentaires.

Ainsi les consommateurs se sentant presque grugés par les prix « affichés » pourraient en venir à les contester. D’ailleurs ne voit-on pas réapparaître le « marchandage » ? Dans ce cheminement, le troc n’a-t-il pas de nouvelles chances via internet ? Pour LeMonde.fr , le 17/09/09 : Selon l'institut IRI-France (Information Resources, Inc.), depuis le début de l'année, les ventes sous promotion ont représenté 17,2 % du chiffre d'affaires de la grande distribution. Du jamais vu !

… dans un contexte déflationniste

Des prix bas généralisés, durables, c’est la déflation…

Alors la crise financière et bancaire menace, d’autant plus grave que la déflation est accompagnée par un chômage qui se développe, l’un soutenant l’autre pour l’amplifier.

Si on rappelle la concomitance des crises énergétique, écologique, économique, on aboutit à une crise sociétale (que d’autres diront de « civilisation ») qui oblige à de profondes modifications dans le fonctionnement du marché et nécessite de nouvelles approches, d’ordre philosophique et politique… de l’économie (6).

Quelques pistes nouvelles…

L’équité au centre du débat

L’activité économique produit une valeur ajoutée. Elle s’exprime habituellement comme la somme de la masse salariale et des bénéfices nets (taxes et investissements déduits).

En d’autres termes la valeur ajoutée est la somme de la rémunération du travail et de la rémunération du capital. Pour que la machine économique fonctionne correctement il doit y avoir un partage harmonieux, équitable, de la valeur ajoutée entre le « capital » et le « travail ».

Si du point de vue macro - économique cette harmonie n’est pas trouvée la production ne peut s’écouler (traditionnellement, les économistes assimilent consommation et rémunération des salariés, épargne et rémunération du capital).

Alors, si l’harmonie commence par un partage équitable de la valeur ajoutée au sein de l’entreprise (7), elle doit se poursuivre par une répartition tout aussi équitable de la valeur ajoutée tout au long des chaînes (filières) qui vont des producteurs de la matière « première » jusqu’aux consommateurs finaux !


Le partage équitable de la valeur ajoutée dans l’entreprise

Nous avons eu l’occasion de développer un modèle de partage équitable, négocié, de la valeur ajoutée au sein de l’entreprise. Ce modèle a été présenté dans un ouvrage ainsi que dans de nombreux articles publiés par les éditions l’Harmattan (7).

Selon ce modèle, en même temps que la rémunération des salariés est faite de salaires et de participation aux profits, la rémunération des actionnaires est faite de dividendes et d’une prime indexée sur la masse salariale (dite « prime de fidélité à l’entreprise »).

Il est alors essentiel de souligner ici que ces modalités de rémunération, qui positivent aux yeux de tous aussi bien la hauteur de la masse salariale que celle des profits, donc annihilent notamment l’hostilité traditionnelle des actionnaires vis-à-vis de la rémunération du travail, mettent les salariés et les actionnaires dans des conditions a priori plutôt favorables à de bonnes négociations.

L’aboutissement de ces négociations se traduit par l’expression d’une valeur équitable du rapport entre la rémunération du capital et celle du travail. Ce qui signifie aussi la reconnaissance par les acteurs qu’un rapport équitable existe entre la « marge de profits » et la rémunération du travail, c’est-à-dire avec la capacité à consommer, avec le « pouvoir d’achat » apporté par le travail.

Les attendus de l’application du modèle dans la grande distribution

Comme dans les autres entreprises, appliqué à la grande distribution, le modèle évoqué au dessus ventile plus équitablement la valeur ajoutée produite par la grande surface, entre ses actionnaires et ses salariés.

A un moment où l’emploi dans ce secteur est menacé par une concurrence exacerbée entre mastodontes de la distribution, d’abord entre eux, mais aussi avec les magasins « discount », à un moment où les nouvelles technologies d’encaissement font leur entrée, la piste du partage équitable, négocié, de la valeur ajoutée mérite d’être étudiée, notamment parce qu’elle débouche sur des marges et autres profits contenus, car indexés sur la rémunération du travail, ne pouvant croître que s’il y a croissance corrélative de cette dernière.

Un prix équitable pour les matières « premières »

Pour coller à l’actualité nous évoquerons le cas des producteurs de matières premières alimentaires.

Le rapport de force inéquitable entre les producteurs, particulièrement les plus petits, et les mastodontes de la transformation, de la distribution avec leurs centrales d’achat et leur « marges arrières », ruine les producteurs, premier maillon de la filière alimentaire (aujourd’hui il s’agit des producteurs de lait, demain d’autres producteurs du secteur agricole feront probablement l’actualité ), en France, en Europe.

On peut même dire que les producteurs de matière première sont pris en tenaille entre leurs propres fournisseurs, appartenant le plus souvent aux secteurs pétroliers, chimiques (sans compter avec l’arrivée des monopoles fournisseurs d’OGM !) et leurs clients, autant de mastodontes devant lesquels ils ont le rôle du « pot de terre », n’ayant guère d’espoir de bénéficier d’une quelconque marge arrière ou autre ristourne !

Plutôt que d’être soutenus par des aides souvent vécues comme avilissantes, d’autres voies peuvent être envisagées pour rendre leur entière dignité à ces professionnels. Par exemple et en cohérence avec notre modèle d’équité du partage de la valeur ajoutée au sein de l’entreprise, nous proposons que soit négocié entre les professionnels et les Pouvoirs Publics, et revu autant que nécessaire, un prix « plancher » pour une production adaptée à la demande, mais un prix indexé sur la totalité de la valeur ajoutée aval engendrée dans la même filière, incluant la transformation de la matière première, les conditionnement, stockage, transport, commercialisation… jusqu’au consommateur final.

Selon la proposition, de chaîne ouverte (avec son premier maillon faible), on passerait ainsi à une chaîne fermée où chaque maillon aurait les meilleures chances de recueillir une rémunération digne de la valeur ajoutée intrinsèque apportée par son travail et en cohérence avec celle des autres intervenants de la filière !

On aura compris que le terme « low cost » qui apparaît dans le titre de cet article est là pour rappeler le cas du « discount aérien », un cas de discount qui constitue un outrage à l’écologie pour tous ceux qui sont sensibilisés à la nécessité de préserver les ressources énergétiques fossiles et notre environnement et savent ce que le transport par aéronefs «coûte» à la planète (3).

(1) Métaphore du philosophe et économiste écossais A. Smith

(2) Voir l’article « Croissance et énergie : une brève synthèse » par R. Guillet

(3) Voir l’article « Plaidoyer pour une autre croissance » par R. Guillet

(4) Voir l’avant propos du livre « Pour plus de solidarité entre le capital et le travail ou de nouvelles chances pour l’emploi » par R. Guillet (ed. L’Harmattan)

(5) Le rapport de la commission Stiglitz suggère un « nouveau PIB »

(6) Allusion au livre « J’ai fait HEC et je m’en excuse » de Florence Noiville

(7) Voir le livre « Pour plus de solidarité entre la capital et le travail ou de nouvelles chances pour l’emploi » par R. Guillet (édité en 2004 + version 2009 en e-book) et articles complémentaires aux éditions l’Harmattan.


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