Certains articles de presses doivent être relus plusieurs fois pour bien saisir toute la subtilité des informations qui se glissent entre les lignes. Ici, tout a commencé par un brillant morceau de pignouferie de presse, comme on est habitué à les découvrir pour ce blog.
Je vous encouragerai à aller lire cette pignouferie ici, dans un brillant exemple de ce que le journalisme de masse peut produire. En substance, on découvre que la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris va probablement se doter d’engins tous terrains assez imposants pour envisager de remplir leur mission dans des conditions décentes.
Rappelons que leur mission consiste à aider des gens, à éteindre des incendies, à désincarcérer des individus de leurs voitures, aider au recyclage d’appareils ménagers endommagés par des chutes de 10 étages ou plus, etc…
Dans l’article, on apprend donc que ces engins sont utilisés normalement dans les endroits peu accessibles, comme les sites forestiers ou montagnards peu accessibles; en substance, les friches et les jungles naturelles. Et ce sont donc ces mêmes camions qui seront utilisés … dans les cités chaudes de Paris.
Déjà, on s’étonnera qu’aucun parallèle ne soit dressé entre ces cités et ces jungles par le pigiste en charge de l’article : pourtant, dans les deux cas, les pompiers doivent tenir compte de nombreux obstacles que jette la flore sur leur passage, et de l’agressivité de la faune dérangée dans sa tranquillité territoriale.
Mais certaines phrases de l’article le rendent un tantinet … agaçant. On y apprend ainsi que « les pompiers n’ont pas toujours la cote dans les cités« , ce « pas toujours » se traduisant par des caillassages et des cocktails Molotov. Si les pompiers étaient carrément haïs, la phrase pourrait donner ceci : « les pompiers ont des petits problèmes d’affect avec les gens des cités ». Enfin, je suppose.
Cependant, le plus beau ne réside pas là.
Je passerai sur le fait que, en ces temps d’écologisme de combat, il faut vraiment avoir un gros besoin de protection pour émettre l’idée d’utiliser un 4×4 sans déclencher les ires déplacées d’un Nicolas Hulot du haut de son hélicoptère.
Non, ce qui est surprenant, c’est que cette utilisation du 4×4 vise à contourner un problème pourtant simple à décrire : les pompiers ne peuvent travailler correctement dans ces cités où, globalement, ils ne sont plus les bienvenus.
Autrement dit, la République (celle qui semble si vibrante dans les récents discours de Besson sur l’identité nationale) est infoutue de faire régner suffisamment de calme dans ses cités pour qu’un corps d’armée s’y rende sans encombre.
Ca fiche un peu les miquettes, dit comme ça, non ?
En fait, on va encore au-delà de ça, puisque les pompiers eux-mêmes ont adopté le discours de journaliste standard, euphémisant à tour de bras comme un Pangloss en mode olympique ; ainsi, pour eux, l’introduction de ces 4×4 blindés dans les cités,
« Ça risque de provoquer une escalade dans les cités. Les jeunes sont très joueurs. Nous voir arriver avec des engins impressionnants comme ceux-là risque de les inciter à encore plus d’audace ou de violence…»
Eh oui, le jeune est « joueur ». Très. Et devant un 4×4 de pompiers, la réaction habituelle du jeune de banlieue, c’est … l’audace et la violence. Avec panache, et toujours pour jouer, bien sûr.
Dit comme ça, on retrouve un peu le parfum des années 80 où de jolies pépées admiraient des grands gaillards bien bâtis qui faisaient tourner leur fringante voiture rouge dans un grand nuage de poussière télégénique.
Ci-dessus : jeunes de cités avant leur petit tour en voiture
Ça a quelque chose d’héroïque, tout de suite, de quasiment bon enfant et ne prêtant pas à conséquence : finalement, faire Shérif Fais Moi Peur dans l’Ohio ou caillasser des pompiers en Seine-Saint-Denis, on s’amuse, on rigole, on fait de l’alcool de contrebande ou des tablettes de résine empaquetée par kilos, et tout ça, c’est kif-kif, c’est un jeu.
Youpi.
Évidemment, la réalité des cités est un peu différente puisqu’il faut remplacer le General Lee par une moto pétaradante, le pilotage expert des frères Dukes sur des routes dégagées par une conduite approximative sur des tronçons surchargés, et le côté « je m’en sors par une pirouette » par un côté « je m’écrabouille comme une merde. »
Décidément, oui, les jeunes sont très joueurs.
Je parlais d’informations qui se glissent entre les lignes, et force est de constater que même sur un aussi petit article, il y a matière. Ainsi, le choix du mot « jeune ».
Ce mot est devenu, en quelques années, l’ellipse commode du journaliste en mal d’inspiration. Il n’est pas utilisé à toutes les sauces, mais toujours dans les mêmes contextes : par exemple, si on prend les incidents qui ont eu lieu à Fréjus suite aux tentatives shérifémoipeuresques ratées d’un motard en délit de fuite, on obtient un article dans lequel on retrouve, comme d’habitude, des « jeunes » qui font des trucs et des machins. Ici,
« Les deux jeunes étaient en possession de bouteilles de white spirit, lors de leur interpellation. »
Ah, sacrés jeunes ! S’ils n’étaient pas là, il faudrait les inventer : ils peuvent avoir de 12 à 35 ans (ce qui est tout de même très large, on en conviendra), être de simples observateurs ou des acteurs participatifs et expressifs, aller à l’école normalement ou rouler des joints dans une cage d’escalier, se trémousser à la Technoparade ou tirer des mobiles à la Technoparade, peu importe, c’est un groupe quasi-homogène désigné sous un vocable commode : « jeune ».
Il est étonnant qu’on emploie régulièrement des mots comme bandit ou malfaiteur lorsqu’il s’agit d’un braquage ou d’une prise d’otage. Mais lorsque deux individus se baladent avec de quoi faire des cocktails Molotov – zip, zoup, d’un coup d’un seul – disparaissent les malfrats et émerge les jeunes. Et celui qui élude la police n’est pas un fuyard, mais un jeune (c’est pas le même, c’est un autre), qui, une fois planté, deviendra une victime et non un accidenté (tout en restant jeune, le cumul est possible). Victime, c’est pratique, ça sous-entend souvent qu’il y a un responsable.
En attendant, pendant que des jeunes font savoir que les pompiers n’ont pas la cote dans les cités et qu’ils continuent à jouer vigoureusement, les pas-jeunes qui sont autour commencent à se poser quelques questions.
Gageons qu’avec l’arrivée de ces 4×4, les problèmes de feu dans des cages d’escaliers de cité seront rapidement résolus, que le comportement des « jeunes » changera pour s’adapter promptement à la nouvelle donne en matière de véhicules d’urgence, et qu’enfin, les fiers journalistes, agiles aventuriers du vocabulaire de substitution, trouveront encore de quoi nous faire bien rire avec leurs truculents reportages animaliers.