Je sais d’emblée que je vais devoir payer des royalties pour ce mantra qui n’est pas de moi. Peu importe le prix, cette phrase sera mienne ce jour. Je me glisse dedans, envahis tous les recoins jusqu’à porter cette seconde peau
de « garcitude ». J’endosse le regard sévère, je mets ma robe de glace, relève la tête, pointe le menton. Je ne veux pas être gentille.
Etre gentille ça paye pas. « Le problème Mag c’est que t’es quelqu’un de gentil ». Au bureau ça sonne comme une insulte. Etre une femme gentille au milieu des requins reviens à revêtir une pancarte de victime, de mule ou de bouc émissaire. Je m’affute les crocs pourtant, j’ai des griffes je m’en sers. Mais j’ai toujours l’impression d’être un chaton plus qu’une tigresse avec le réflexe stupide de demander à mes victimes si je n’ai pas mordu trop fort… Pour un peu je m’excuserais.
Quelle truffe. Quand les autres hurlent, ils affirment leur caractère de merde, leur statut et j’en passe. On les respecte pour ça, on les adule, on les craint ces racailles. Quand je rugis on s’inquiète de la santé de mes nerfs, on me rassure, on m’hyper ventile. Ça ne cadre pas avec le personnage. « Ma chérie tu n’as pas bien dormi ? ton mec t’as plaqué ? ».
Pffff, rien à faire, pas moyen d’être crédible la gentillesse me colle à la peau. Quelle morue ! Seule ma froideur semble les ébranler. Plus efficace que les cris, plus digne que les coups bas. Tout irait pour le mieux si je n’étais pas frileuse.
En amour non plus je ne veux pas être gentille. Etre gentille ne garantit pas le bonheur, ça se saurait. Alors je le suis de moins en moins. Comme si c’était plus facile d’être une garce en privé. Je cultive ma froideur comme on monte un rempart, j’entretiens la distance, brouille les pistes quand je sens poindre en moi cette envie d’empathie. Je veux être égoïste, ne penser qu’à ma gueule, prendre et jeter, me foutre de leur faire mal, me foutre de les oublier. Et oublier.
Dieu est amour, pas moi. Dieu est amour, pas moi. Dieu est amour, le veinard. J’en suis réduite à violer ma nature, pour me protéger pour m’insérer pour m’adapter. C’est ça le progrès ? C’est ça la bonne voie ? Et si j’avais envie moi d’avoir le cœur qui déborde ? Et si j’avais envie d’assumer mes excès, d’être violente dans les sentiments ?
Etre garce est facile, être garce est un jeu dont je connais les règles, je m’applique. C’est même parfois amusant. Etre garce est un joli vernis qu’on applique sur sa peau. Ça protège du froid. Pas des coups. Alors je fais des compromis. Ma gentillesse je la distille désormais comme on donne des bonbons, comme on vole un baiser. Je la réserve pour les grands jours, pour les personnes qui me touchent, pas question de la gaspiller à tort ou à raison. Je deviens économe, prudente, rare, mais pas question de rentrer dans le moule de l’homo egocentrus. Je serai une résistante, une décroissante, une altermondialiste du boycott des sentiments.
Dieu est amour…
Et moi ?