Le Trousseau de Moulin premier, de René Char (lecture de Tristan Hordé)

Par Florence Trocmé

Depuis Éloge d’une soupçonnée, publié en 1988, l’année de la disparition de René Char, avaient été réunis par Marie-Claude Char en 1996, dans L’Atelier du poète1, les premiers états de poèmes parus en plaquettes. Le Trousseau de Moulin premier offre la première version d’un poème qui, transformé, trouvera sa place dans Dehors la nuit est gouvernée(1938) sous le titre "Dent prompte"2. Le texte est copié en 1937 au dos de cartes postales représentant divers lieux de L’Isle-sur-Sorgue — un album de 12 vues, comme il s’en trouve encore, très fidèlement reproduites. Au recto de chaque carte, en bas à droite, sont repris des fragments du recueil Moulin premier (1936)3. L’ensemble forme un petit livre offert à Greta Knutson-Tzara en 1937 ; peintre et critique d’art, Greta Knutson avait épousé Tristan Tzara en 1924 et le couple s’était séparé en 1937, époque de la liaison de Greta avec René Char. La genèse de ce petit ensemble est précisée par Marie-Claude Char. Revenu en 1935 dans son village natal, le poète a écrit pendant une longue convalescence des vers qui formeront les recueils de 1936 et 1938.

Ce Trousseau du Moulin Premier, conservé à la Bibliothèque Jacques Doucet, permet de suivre des moments de l’écriture de Char, qui modifie ici un mot — À te nuire confiture ennemie deviendra À te nuire concordance ennemie — ou introduit là un blanc dans une strophe. Si l’on pense, comme l’écrivait José Corti dans ses Souvenirs désordonnés, qu’ « un poème de Char, même court, n'est pas une petite œuvre », on suivra avec attention les mouvements entre ce Trousseau et l’état définitif du poème.

Les douze fragments retenus de Moulin Premier ont un autre statut. Ils constituent un choix qui, à y regarder de près, dit souvent quelque chose de la relation à la dédicataire du petit livre ; ainsi peut-on lire Chaque jour est un tremblement une étincelle écornée de rape ou Prodigue je distingue déjà mes yeux nouveaux d’éternité. Aussi clairement, tels aphorismes peuvent s’appliquer à René Char lui-même en 1937, comme Main d’œuvre errante de moi-même ou sur la dernière carte Éclaireur, comme tu surviens tard !.

Le lecteur peut aussi découvrir l’écriture de René Char, l’attention qu’il a eue à calligraphier chaque vers — abandonnant parfois les associations de mots qui lui étaient chères pour écrire nûment Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la solitude. Un beau petit livre à (s’) offrir.

Contribution de Tristan Hordé

René Char, Le Trousseau de Moulin Premier, La Table Ronde, 2009, 16 €.


1 Ces deux ouvrages ont été publiés chez Gallimard, le second revu et corrigé en 2007.
2 voir René Char, Œuvres complètes, introduction de Jean Roudaut, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, p. 117-121.
3 On les retrouvera dans René Char, op. cit., p. 61-81. Voir aussi les notes : « le titre de « Moulin premier » est provoqué par les surprises du vocabulaire familier. Les moulins premiers, moulins à papier d’origine très ancienne, étaient établis sur la Sorgue dite de Velleton, dans un quartier de l’Isle-sur-Sorgue qui porte ncore ce nom » (p. 1240).