Le Tour de France 1967 se situe dans l’entre-deux de cette épreuve. Entre deux parce qu’il se situe après les années Anquetil, qui a gagné son dernier titre en 1964, et avant les années Merckx, dont le règne débutera en 1969. En 1965, Felipe Gimondi l’emportait, tandis que Lucien Aimar lui succédait en 1966. En 1967, la direction de course décidait d’un retour aux équipes nationales (au nombre de deux pour les principaux pays : l’équipe A et les Espoirs).
Le Mont Ventoux en juge de paix de l'étape de Carpentras
Parmi les favoris, on retrouve donc l’équipe de France dont Lucien Aimar sera encore une des attractions, mais aussi Désiré Letord (Bleuet) ou Raymond Poulidor, toujours présent. Les Italiens affichent Gimondi et Balmanion (Primavera), les Espagnols, Julio Jimenez et Fernando Manzaneque (Esperanza), les Pays-Bas, Jan Jansen (qui l’emportera finalement en 1968), les Belges, Jos Huysmans, et les Britanniques, Tom Simpson.
Le tour va se jouer dès le 3 juillet, lors de la 5ème étape entre Roubaix et Jambes, avec la longue échappée solitaire de Roger Pingeon. Bien aidé par Raymond Poulidor ensuite dans la montagne, il va sauver son maillot jaune.
Arrive alors la 13ème étape, le 13 juillet, au cours de laquelle le Mont Ventoux, connu sous le nom du Mont Chauve, va servir de juge de paix de cette étape de Carpentras. Un double chiffre « 13 » qui ne portera pas chance.
Tom Simpson, le champion anglais à la dérive
Le panneau du sommet à 21 km est passé lorsque l’attaque attendue de Julio Jimenez laisse sur place la plupart du groupe des leaders, hormis Raymond Poulidor qui résiste. A l’arrière, la débandade est de rigueur. Aimar, Monty, Puschel, Castello et Simpson s’organisent comme ils peuvent pour ne pas sombrer totalement. Les kilomètres défilent lentement, la nature devient de moins en moins dense, la résistance aussi. Devant, Jimenez finit par lâcher Poulidor. 10 km du sommet, le groupe des lâchés est toujours compact. Il l’est encore à 5 km du sommet. La souffrance devient de plus en plus visible, les visages sont marqués. Tom Simpson tente de sortir du groupe, inutilement ; dressé sur ses pédales, les muscles ne répondent pas. C’est lui qui se fait lâcher. La nature perd toute notion de vie dans cette partie du Mont Ventoux. Tom Simpson souffre de plus en plus. Henri Rabaute, le Bleuet, le rattrape irrésistiblement et le dépasse. Le Britannique commence à zigzaguer sur la route, le regard fixe.
Il reste moins de 3 km avant le sommet. C’en est trop, Tom Simpson se dirige vers le talus et s’écroule. Deux spectateurs l’aident à se relever et le remettent en selle, il va encore réussir à parcourir 500 m, tant bien que mal, à demi inconscient, avant de s’écrouler à nouveau, dans le coma. Des spectateurs se précipitent, un d’entre eux va tenter le bouche à bouche pour le réanimer, les secours interviennent à leur tour, le docteur Dumas et les infirmières vont essayer de le réanimer pendant 40 mn, avant que l’hélicoptère ne l’emporte. A 17 h 40, un communiqué annonce que Tom Simpson est décédé. Ce sera le premier décès pour cause de dopage.
Remis en selle par des spectateurs
Je me souviens de l’annonce radio de ce triste événement. J’étais encore jeune et on était en famille sur la route des vacances. Ce fut un coup de massue lorsque l’info est arrivée sur l’autoradio. On était alors loin de s’attendre à ce genre de risque surtout à un âge signifie ou le sport est composé d’idôles.
Des analyses qui seront faites il en ressort : « La fatigue, la chaleur étouffante (35°C), l’effort, la privation d’eau (le ravitaillement en course sera autorisé dans les années suivantes), la prise d’amphétamines (Tonédron dont on retrouva plusieurs tubes dans les poches du maillot, qui repousse la prise de repos mais ne l’annule pas) et marginalement l’acceptation du cognac des spectateurs sont les facteurs qui ont provoqué le dépassement des capacités thermorégulatrices du corps ». Certains médecins sérieux en déduiront que les amphétamines seules n’auraient jamais provoqué la mort, sans l’alcool qu’on (des spectateurs) lui a fait ingurgiter avant de le remettre en selle une première fois. Soit ! Mais est-ce là la bonne question ? La bonne question ne serait-elle pas plutôt : sans la prise d’amphétamines, se serait-il écroulé, aurait-il été au-delà de ses limites ? On voit là tout le dilemme du dopage : pour avoir les réponses que l’on souhaite, il suffit de choisir ses questions.
Tentative de bouche à bouche pour le ranimer
Pour la petite histoire, Jan Jansen emporte l’étape du jour, tandis que celle du lendemain, neutralisée, verra Barry Hoban, l’ami intime de Tom Simpson, victorieux, en signe d’hommage. Le même Barry Hoban qui épousera finalement la veuve de Tom Simpson, quelques années plus tard.
Les premiers contrôles anti-dopage qui avaient soulevé le tollé chez les coureurs avaient, paradoxalement, vu Tom Simpson avouer son dopage, en 1965. Jacques Anquetil, de son côté avait déclaré : « la loi anti-doping est une idiotie »…
Depuis, peu de chose ont évolué. Les sportifs sont toujours aussi inconscients du danger et la liste des décès s’allongent irréversiblement. A 20 ou 25 ans, ils pensent plus à la notoriété qui les attend qu’au risque qui est engendré. Sans parler qu’ils n’ont pas l’impression de tricher. Combien faudra-t-il encore de morts, directs ou indirects, de toxicomanes et de vocations perdues dans des contrôles positifs pour que cesse ce petit jeu du chat et de la souris avec les laboratoires ?
- Evacuation en hélicoptère du coureur
On aurait pu espérer que la mort du seul Tom Simpson aurait été suffisante pour une prise de conscience. Avec le recul, on sait déjà qu’il n’en sera rien et on peut mesurer toute l’inutilité et l’absurdité de cette disparition.