Mardi, Nicolas Sarkozy s'est exprimé sur l'agriculture ce mardi. Il était brièvement revenu du Cap Nègre, où il se repose pour 15 jours... Parler aux agriculteurs fait partie du plan électoral mis en place ses derniers jours par l'Elysée. Les sondages sont mauvais: les récentes polémiques ont mis à mal une popularité chancelante : une enquête de BVA pour l'Express chiffre à 54% la proportion de Français mécontents du Monarque, dont le bilan à mi-mandat est jugé négatif par une majorité également.
Voici donc le temps de consoler les agriculteurs, de leur expliquer qu'ils sont les plus malheureux du monde, et qu'heureusement Nicolas Sarkozy est là.
Fillon chauffe la salle
François Fillon avait préparé le terrain, en annonçant, vendredi dernier, qu'"un plan massif" allait être confirmé par le Monarque: "le président de la République, le Gouvernement et moi-même, sommes absolument conscients de la gravité de la crise que rencontre aujourd’hui l’agriculture" avait-il déclaré. L'été dernier, les producteurs de fruits et légumes avaient été choqués par les déclarations de leur ministre. Bruno Le Maire avait prévenu qu'il leur faudrait prochainement rembourser environ 500 millions d'euros de subventions européennes reçues il y a 10 ans. La chute du cours des matières agricoles, et les abus de la distribution, ont eu raison de la patience des agriculteurs... Premier souci, la production laitière. La Commission européenne a annoncé lundi dernier quelques 280 millions d'euros d'aides supplémentaires pour la filière laitière en 2010, dont 50 millions pour la France.
Vendredi dernier, avant de partir en vacances, on apprenait que Nicolas Sarkozy avait "arbitré" les grandes lignes de son plan d'aides à l'agriculture. La FNSEA réclamait 1,4 milliards d'euros...
A Poligny, protégé par la police
Nicolas Sarkozy voulait que sa visite soit discrète. Une fuite a contrarié ses plans. Le chef de l'Etat s'est rendu dans une ferme, puis, à coup d'hélicoptère, il a filé à Poligny (Jura), où 800 militaires avaient été déployés. Devant 1000 invités choisis qui l'attendaient dans la salle des sports de Pligny, le voici qui présente son plan, rapidement publié sur le site de l'Elysée.
Sarkozy s'élance. Il veut "témoigner de la solidarité française" à l'égard des agriculteurs: "La crise que traverse l’ensemble du secteur agricole est une crise absolument exceptionnelle car toutes les filières agricoles sont aujourd’hui touchées par une baisse de revenu. Dans cette belle région de Poligny, les exploitations de polyculture et d’élevage connaissent pour la première fois une crise qui concerne toutes leurs productions."
Le Monarque joue d'abord la compassion: pas de salaire décent pour les producteurs de lait pas de crédit pour les primeurs, pas de perspectives pour l'ensemble. Sarkozy se permet de rappeler que l'agro-industrie pèse davantage que l'automobile, un secteur qu'il a pourtant lui-même soutenu dès l'automne, oubliant les autres. Il parvient même à glisser un bout d'identité nationale, affirmant que l'agriculture défends des valeurs françaises essentielles, "celle du travail, et celle de la récompense."
Sarko prête un milliard
Des mesures d'urgence ? "Parce que la crise est sans précédent, notre réponse doit préparer un changement lui aussi sans précédent." Bizarrement, Sarkozy attaque un défaut de régulation mondiale et européenne, puis un défaut de partage de la valeur au sein de la filière: "Entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009 l’indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20%. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1%. Cet écart est sans précédent. Cet écart est inacceptable ! Il révèle une répartition inéquitable de la valeur ajoutée au sein des filières. Cet écart met notre production alimentaire en danger."
Fidèle à son habitude, Nicolas Sarkozy crie fort que (1) le danger est grave mais (2) qu'il ne sera pas démagogue, et (3) fait l'inverse. La démonstration est aisée : Sarkozy annonce d'abord qu'il se refuse à des subventions qu'il faudra rembourser ("Je ne suis pas venu vous annoncer un plan de subventions contraire aux règles européennes, qu’il conviendra de rembourser dans dix ans"), tout comme il refuse tout "système de prix pour la viande ou pour le lait, qui conduirait ensuite certains syndicats, dans dix ans, à payer la facture de la démagogie, parce que le réveil sera alors brutal". Les mesures d'urgence qu'il annonce ensuite sont, pour l'essentiel, exactement ce qu'il fustige.
1. Sa première mesure d'urgence, "sans précédent", est un ...prêt : "un milliard d’euros de prêts de trésorerie, de consolidation ou de restructuration d’encours pour permettre à chaque agriculteur en difficulté de pouvoir assainir sa situation de trésorerie de 2009 et engager immédiatement les dépenses d’investissement pour les prochaines campagnes". Un prêt, ça se rembourse, non ?
Sur ce milliard d'euros, l'effort de l'Etat sera de ... 60 millions d'euros, sous forme de bonification des taux d'intérêts... Bel effort !
2. Seconde annonce, Sarkozy annonce... 200 millions d'euros de subventions: "une enveloppe de 200 millions d’euros pour alléger les charges d’intérêts d’emprunts de 2009 et 2010 dues par certains agriculteurs en difficulté et, d’autre part, accompagner les restructurations des exploitations."
3. Autre subvention, l'Etat financera 50 millions d'euros de cotisations à la Mutualité Sociale Agricole. Sarkozy ne rend même pas d'une main ce qu'il a pris d'une autre : dans les comptes de la Mutualité Sociale Agricole à fin septembre 2009, les franchises médicales représentaient 67 millions d'euros à fin septembre à la charge des agriculteurs malades.
4. L'Etat paiera également 50 millions d'euros de Taxes sur le Foncier Non Bâti.
5. En 2010, l'Etat remboursera 170 millions d’euros de taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel.
6. Autre promesse similaire, l'Etat remboursera 75% de la future taxe carbone, soit 120 millions d'euros.
Sarko parle, mais ne régule rien
Du côté des promesses de régulation, le monarque reprend ses formules d'il y a un an, au plus fort de la crise financière: "L’économie de marché ce n’est pas la primauté donnée au spéculateur. C’est la primauté donnée à l’entrepreneur, et l’agriculteur est un entrepreneur, c'est la récompense du travail, de l’effort et de l’initiative." Les annonces sont rarement concrètes : ill exorte d'abord l'Europe à prendre des mesures contre la spéculation boursière sur les marchés de matières premières. On croit rêver. Que peut donc l'Europe contre cela ?
Sarkozy explique ensuite les objectifs qu'il fixe à la nouvelle Politique Agricole Commune, après 2013: respect d'une "préférence communautaire renouvelée" (sans indiquer ce qui changerait par rapport à la situation actuelle), création de "véritables outils de gestion des marchés" (lesquels ?), subventions à la production "dans les territoires fragiles, en particulier dans
les zones herbagères et de montagnes", et soutien à la filière bio.
La chose fut incroyable, comme souvent : Sarkozy assène sa détermination sans jamais préciser à propos de quoi, si ce n'est de vagues objectifs. Dans l'assistance, personne ne moufte. On retient la forme, jamais le fonds.
"C’est clair, pas de ligne Maginot, pas de retour en arrière catastrophique et démagogique. On sait où on veut aller et on ira ensemble : agriculteurs, entrepreneurs, producteurs, travailleurs. C’est cela la nouvelle régulation que nous allons porter."Sarko confond loi et action
Troisième volet (après les mesures d'urgence, et les grands objectifs de la future régulation), les "réformes" nationales à travers une "loi de modernisation de l'agriculture". Faute d'agir, on communique et on légifère:
1. Sarkozy propose ainsi de définir le métier d'agriculteur (sic !): "Il nous faut donc une définition rénovée du métier d’agriculteur en tant qu’entrepreneur responsable, et cette définition du métier d’agriculteur sera au cœur de la loi de modernisation de notre agriculture". Tout ça pour définir des "contrats de filières", par accords interprofessionnels ou décrets, pour contractualiser la relation entre les agriculteurs et leurs clients.
2. Autre effet de communication, sur l'un des sujets les plus chauds du moment: la transparence des prix, du producteur au consommateur final. Le monde agricole attend une intervention de l'Etat. Ce dernier se défausse. Et Sarkozy aussi: il ne promet aucun mécanisme de régulation, sur un sujet pourtant à portée de main. Simplement, "Nous allons donc renforcer considérablement l’observatoire des prix et des marges dans le secteur agricole par la loi de modernisation de notre agriculture".
3. Sarkoz promet aussi une simplification et une mise en cohérence des "règles existantes en matière environnementale et sanitaire aux niveaux national et européen" ; ça ne mancge pas de pain, et ça fait plaisir.
De cette dernière partie, les employeurs agricoles ne retiendront qu'une chose : ils seront exonérés de charges patronales pour l'embauche de travailleurs saisonniers (coût 170 millions d'euros par an).
La France a un lien charnel avec son agriculture, j’ose le mot : avec sa terre. Le mot "terre" a une signification française et j'ai été élu pour défendre l'identité nationale française.Ces quelques mots de conclusions révèlent la farce.
Une manoeuvre électorale, comme hier avec Eric Besson et son débat sur l'identité française.