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La télé en tranches fines

Publié le 27 octobre 2009 par H16

Je l’ai déjà dit : ne regardez pas la télé ! C’est mal. En fait, si la presse se place régulièrement aux frontières du Royaume du Toupourrisme, la télé, elle, y fait des allers-retours multi-quotidiens, n’a pas besoin de passer la douane et emprunte régulièrement le corridor diplomatique pour VIP. Et pour une fois, ce n’est pas moi qui le dit…

… C’est le CSA lui-même qui, dans un rare éclair de lucidité, explique doctement dans un touffu rapport plein de jolis graphiques repiqués d’un Excel un peu baveux que la téloche, elle fait rien qu’à discriminer les minorités risibles et les autres.

Au passage, on ne dira jamais l’ampleur du désastre que Microsoft, croyant bien faire, aura provoqué en donnant à tous la possibilité de faire des présentations Point Puissant sans aucune retenue : maintenant, n’importe quel pékin est capable de propulser quelques nombres exponentiels dans un tableur, de torcher un graphique coloré, de le copier et coller sur une présentation, et de boucler l’affaire en ajoutant deux lignes de texte aux adjectifs vagues en guise d’analyse.

Si on ajoute aux calamités de ces présentations mal ficelées les ravages de la caféine qui fait passer la fébrilité et la surexcitation pour de la concentration, on n’aura pas de mal à comprendre comment, dans les années 2000, des crétins boutonneux ont pu lever des fortunes pour vendre des tire-bouchons roses sur internet.

Mais je m’égare.

Pour revenir au rapport du CSA, que dit-il ? Et quel en est le sujet ?

Le titre est évocateur : « Baromètre de la diversité à la télévision »

On sent l’étude nécessaire, profonde et réfléchie, sur un sujet qui taraude la société française au plus profond d’elle-même. L’idée est, au travers d’une mesure basée sur un découpage des programmes en tranches longitudinales fines – quasi transparentes – et sur des critères über-pertinents, de vérifier à quel point la télé ne représente pas bien la société française dans son ensemble.

Oui. Vous avez bien lu : le CSA, avec son étude Excel™ + Powerpoint™ manifestement imbibée de doses massives de caféine, tente de mesurer l’écart entre la société française et sa représentation à la télé.

Concrètement, si, en France, il y a 10% d’ouvriers, les images que la télé débite devraient contenir 10% d’ouvriers. Je vous encourage à lire les premières pages sur la méthodologie appliquée, c’est très intéressant pour comprendre, exactement, où va l’argent du contribuable.

Car on y apprend qu’une vingtaine de personnes se sont esquinté les yeux sur les pénibles programmes nationaux d’une douzaine de chaînes de télé, pour éplucher, sur une semaine d’émissions, les catégories socio-professionnelles des intervenants.

On imagine ici un de ces tâcherons de l’obscur, le crayon en attente, l’air perplexe, hésitant à cocher « Restaurateur » pour Captain Krabs et « Commis de cuisine » pour Bob l’éponge.

Bob est 636d dans la catégorie Insee. Intéressant, non ?

Bref.

Une fois les personnages et les humains qui bougent dans la lucarne magique correctement estampillés avec la bonne CSP de l’INSEE, hop, on flanque tout ça dans un ou deux tableaux Excel, on pond des jolis graphiques en tubes colorés, et voilà le travail : la téloche discrimine à fond les ballons !

  • Il y a plus de riches dans la télé que dans la réalité !
  • Il y a plus de blancs dans la télé que dans la réalité !
  • Il y a plus de cadres dans la télé que dans la réalité !
  • Il y a plus d’hommes dans la télé que dans la réalité !

Pire, il semble que les hommes riches et cadres blancs sont nettement plus présents dans la télé que les femmes noires pauvres et caissières !

Saperlipopette, voilà qui me tourneboule l’intérieur.

Bon, ok, c’est un peu fort. Je ne regarde pas la télé donc ça ne m’a pas complètement retourné. Car à bien y réfléchir, les écarts constatés ne sont pas totalement fortuits.

Eh non.

Surtout si on tient compte du fait que la télé n’est pas un gros échantillonneur macro-cosmique à tubulures ventrales de la société française, mais … un instrument de divertissement.

En effet, jusqu’à dernièrement, la télé avait été créée pour diffuser un peu d’information, mais surtout, fournir à celui qui l’allume une source quasi-inépuisable de pause intellectuelle facile.

Entre les jeux plus ou moins bêtes, les émissions de variétés où d’improbables légumes poussent des chansonnettes dégoulinantes, les docureportainment (mélanges de documentaires orientés, reportages sur le terrain et amusements interactifs pour public désœuvré), la télé n’offre plus, en terme d’information, qu’une excuse quotidienne.

D’ailleurs, celle-ci est maintenant serrée entre 20h et 20h30, horaire pendant lequel on fera tenir aussi bien la géopolitique internationale en petits morceaux facile à oublier, la politique intérieure avec tout ce qu’elle comprend de bruits et d’odeurs, et la dernière élection de Miss Plastique, reportage humide à l’appui, histoire d’intéresser, même fugacement, tous les potentiels cerveaux qui se placent à proximité du récepteur.

Mais pour les sages du CSA, cette évidence de la télé comme clownerie facile à ingérer n’est pas celle qu’on retiendra. On se focalisera sur le sous-jacent, le message caché que les publicitaires, les producteurs et les responsables tentent insidieusement de faire passer.

Une publicité présente une femme blanche proche de l’orgasme qui bouffe du yaourt ? C’est évidemment une discrimination pour tous les maghrébins heureux qui mangent de la faisselle et qui ne sont pas présents dans un tel spot !

Une comédie sociale légère met en scène un brocanteur blanc, moustachu, bourru mais au grand cœur, qui tente de venir en aide à tout le monde ? On frise la provocation en ne présentant pas une esthéticienne noire, gouailleuse mais pleine de bon sens, qui distribue son vivre-ensemble et des recettes de cuisine épicée à tout le monde !

Les talk-shows présentent un quadruplet de quinquas grisonnants, experts dans tels et tels domaines, pendant une heure de temps ? C’est un scandale sans nom puisqu’on n’a pas aussi invité une représentante de l’amicale des seniors joueurs de pétanque de Palavas !

Vous pensez à de la caricature ?

Là encore, je vous encourage à bien lire le document : on y lit notamment que la parité homme/femme n’est pas respectée, qu’il y a plus (trop ?) de blancs que d’autres couleurs dans les émissions, et que les invités sont surtout des CSP supérieures.

C’est pas formidable, ça ?

Heureusement, le CSA propose un remède en conclusion, et notamment :

  • Mesure, deux fois par an, de la réalisation de ces objectifs par le baromètre du CSA : en clair, ils vont remettre le couvert de ces affolantes enquêtes deux fois par an. Les constats d’évidence ne coûtaient probablement pas assez cher une seule fois à l’année.
  • Amélioration de la distribution artistique des fictions par un engagement des chaînes sur la présence de comédiens issus de la diversité dans les fictions en cours de tournage : j’attends le jour où les fictions seront entièrement bâties sur la diversité avec un calcul millimétrique de la représentation de chaque minorité (par exemple, en longueur de film celluloïd impressionné). Ça promet des divertissements palpitants de spontanéité.
  • Insertion d’une clause « de sensibilisation à la diversité » dans chaque contrat de commande de programmes signé par les diffuseurs : avec une clause, la fête est plus folle.
  • Actions de sensibilisation des chaînes, après chaque publication des résultats du baromètre : la chaîne organise une action de sensibilisation auprès de ses équipes de programmes et de sa rédaction : bientôt, le CSA proposera des Kits Diversité où, dans un package élégant, seront proposés des cautions issues de la diversité, du handicap, de la féminitude ou des classes socialement défavorisées qui pourront s’insérer sans douleur dans tous les créneaux horaires et toutes les émissions.

La télé du futur, en somme, sera une représentation parfaite de ce qu’on trouve dans la réalité.

Vous êtes chômeur, habitez dans une cité où règne les dealers et le trafic de drogue ; vous allumez la télé, et, paf, vous aurez le droit à une passionnante fiction racontant les histoires d’un chômeur, habitant d’une cité où règne les dealers et le trafic de drogue.

Ca, c’est du divertissement, coco ! On voit déjà le scénario !

Moi, je dis merci au CSA : la télé du futur, ça va déchirer.

—-

Notons qu’en octobre 2006 (trois ans déjà), Demaerd Movies & Telefilms proposait déjà quelques truculents scénarios en accord avec cette pensée CSA si guillerette.


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