Xavier de La Vega receuille les propos du sociologue Jean-Louis Laville selon qui les services à la personne obéissent aussi à une logique solidaire et s'éloigne ainsi de la logique économique classique

Publié le 22 octobre 2009 par Jérémy Dumont

 


Trois questions à... Jean-Louis Laville

Vous écrivez que l'essor de la relation de service met en cause la théorie économique orthodoxe...

C'est vrai. Pour la théorie économique orthodoxe l'existence d'un marché suppose par exemple que le producteur et le consommateur puissent former leurs préférences indépendamment l'un de l'autre. Or toute relation de service questionne cette indépendance puisqu'elle instaure une coproduction du service, par l'interaction entre le prestataire et le bénéficiaire.

La relation de service remet également la prétention à définir l'économie comme une sphère autonome, caractérisée par la production d'objets matériels. Cette définition n'est guère tenable avec la tertiarisation de l'économie, d'abord parce que les services ont un contenu immatériel, ensuite parce que nombre d'entre eux supposent une imbrication entre les domaines économiques, sociaux et culturels. Certaines prestations font ainsi l'objet de transactions monétaires alors qu'elles relèvent du domaine social : c'est le cas par exemple des services à la personne. Ces activités s'effectuaient auparavant à l'ombre des relations domestiques. Elle pénètrent aujourd'hui dans la sphère monétaire et deviennent pour cette raison plus visibles.

Doit-on craindre une marchandisation de ces services ?

Au cours de ces dernières années, de nombreuses entreprises privées ont investi ce secteur.

Dans ce cas, la coproduction du service obéit à une logique consumériste : le consommateur est certes associé aux prestations, mais celles-ci demeurent conçues par l'entreprise, dans une logique de profit. Néanmoins, dans les sociétés européennes, on trouve aujourd'hui un ensemble de services qui obéissent à une logique de solidarité.

Un grand nombre d'initiatives sont de nature associative ou coopérative. Par exemple, les coopératives sociales en Italie, les sociétés à finalité sociale en Belgique, les sociétés coopératives d'intérêt collectif en France. Une pluralité d'acteurs est associée à la définition du service, qu'ils soient prestataires, usagers ou bénévoles.

Ce contexte institutionnel privilégie la solidarité entre les parties prenantes, sur la base d'un principe d'égalité. On peut alors parler non seulement d'une coproduction, mais d'une coconstruction du service.

Comment les salariés vivent-ils la prestation de services aux personnes ?

Cette activité est actuellement en émergence. Pour cette raison, les droits sociaux n'y sont pas encore stabilisés. On y rencontre des situations inédites, comme le fait d'entrer dans l'intimité des usagers, ce qui pose évidemment des problèmes bien différents de l'achat d'un bien matériel ordinaire.

Ces professions, souvent occupées par des femmes, souffrent d'un problème de reconnaissance. La situation était analogue dans le cas des métiers de la santé. Si la reconnaissance de ces métiers a pu s'adosser à l'institution hospitalière, de leur côté, les services à la personne ont souvent lieu à domicile. Le problème consiste alors à éviter l'isolement des intervenantes, leur permettre d'échanger sur leur pratique.

Beaucoup reste à faire pour construire un cadre institutionnel satisfaisant, garantissant une rémunération des qualifications sociales mises en oeuvre, l'accès à des réunions de formation et à des droits collectifs.

Propos recueillis par Xavier de la Vega

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