A l’APB, on rencontre fréquemment des parents démunis qui ne savent plus quoi faire pour aider leur enfant en souffrance. D’autant plus que les résultats tant attendus sont parfois longs à apparaître. Le Dr Monfrais-Pfauwadel répond aujourd’hui à la question d’une maman d’un petit de 8 ans qui bégaie :
Je suis la maman d’un garçon de 8 ans qui bégaie. Depuis l’âge de 5 ans nous voyons des orthophonistes connaissant plus ou moins (plutôt moins que plus) le bégaiement. Nous avons fait une thérapie familiale. Le résultat a été que pour une famille sans problème, le thérapeute n’avait pas de solution à apporter. Et puis depuis 1 an et demi, nous allons chez une orthophoniste à 1 h de notre domicile (140 km aller-retour) toutes les semaines. Elle est très bien, mais nous ne voyons aucun changement. Nous avons été voir un psychologue sur le conseil de notre pédiatre, qui a émis l’hypothèse que Clément fasse de la relaxation (bien que Clément soit tout sauf un stressé de la vie, c’est même complètement le contraire). Du coup on a accepté cette relaxation ne sachant pas quoi faire et là on attend une place d’ici quelques mois. Nous ne savons plus quoi faire. Nous souhaitons aider notre fils mais vraiment nous sommes perdus. Et il est si difficile de trouver une personne qui nous comprenne et qui puisse nous donner des conseils et nous aider. Je compte vraiment sur vous tous.
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel :
Madame, Ce n’est pas une question sur le bégaiement que vous posez là, mais un avis clinique et thérapeutique que vous demandez. Je vous répondrai donc en privé, mais néanmoins votre intervention soulève quelques problèmes qui intéressent tout le monde :
- Le manque de formation des orthophonistes et des intervenants.
- Il n’est pas spécifique à la France. La rééducation du bégaiement est la rééducation la moins pratiquée de par le monde par les orthophonistes et logopèdes. Elle demande beaucoup de connaissances, beaucoup d’inventivité, elle ne peut être répétitive et formatée, il faut s’adapter complètement à chaque cas.
Certains programmes universitaires américains et anglais ont été interrompus (ou plutôt non reconduits) car ils demandaient des mises de moyens énormes pour une demande qui allait être moins forte que les troubles d’apprentissage ou les problèmes de voix… c’est la triste réalité.
- En France l’enseignement n’est pas le même d’une école d’Orthophonie à une autre et peut varier de 4-5 heures à une dizaine d’heures…sur quatre ans.
- Tout le monde trouve son enseignement plus intéressant et plus vital que celui des enseignants d’autres matières.
- Les stages sont inexistants. On a donc vu apparaître une multitude de stages de formation en parallèle, stages où s’inscrivent (moyennant finances) qui le veut et qui ne sont pas sanctionnés par une évaluation des enseignements et rarement suivis de stages de supervision ou de perfectionnement.
- Malheureusement ces stages ont comme effet pervers d’alimenter la carence éducative – au lieu de mettre la pression sur les collèges d’enseignements des écoles d’Orthophonie… si décision collégiale il y a.
Une solution ou plutôt un début de solution que j’ai pu mettre en place depuis 2005 a été la création d’un DU (Diplôme Universitaire) à Paris 5, ouvert aux médecins phoniatres et aux orthophonistes diplômées. Il comprend 120 heures d’enseignement sur deux ans et est sanctionné (ou récompensé) par un diplôme universitaire. Il y a donc des règles de validation et d’évaluation qui sont celles de toute Université. C’est un des plus gros programmes universitaires sur le bégaiement à l’heure actuelle.
Ces orthophonistes et thérapeutes sont déjà une quarantaine à avoir obtenu le diplôme – 20 de plus en formation. Ils pourront à leur tour « essaimer » et prodiguer un enseignement et des supervisions afin d’améliorer la qualité des soins et de permettre une supervision.
Mais la France est vaste et certains territoires sont moins riches en soignants que d’autres… d’où les galères que vous traversez. Ce n’est pas un problème qui peut se résoudre comme cela, vite.
De plus il faut être bien conscient que même si les orthophonistes ont des notions de toutes les pathologies, ils ne peuvent pas bien répondre à tout – et que chacun a ses préférences (pour les médecins phoniatres, la problématique est la même) ; je dois désespérer les personnes sourdes et malentendantes, ce n’est « pas mon truc ». Mais je pense que lorsque l’on ne sait pas, il faut le dire.
L’autre problème est la crispation sur le résultat qui paradoxalement nuit beaucoup à la prise en charge du bégaiement. Il y a des moments où il vaut mieux suspendre que de dépenser beaucoup d’énergie à essayer d’avoir une amélioration avec des moyens inadéquats. C’est difficile à admettre, mais c’est la dernière fois que votre enfant sera un enfant – et il ne faut pas que l’acharnement à trouver une solution coûte que coûte lui envahisse son espace de jeu et de loisirs qui sont aussi sa part d’enfance.