Bootleg, mash-up, bastard pop… peu importe le terme utilisé, un nom en France lui est souvent associé : DJ Zebra. Ancien bassiste de Billy Ze Kick, le zèbre est passé maître dans l’art du mash-up, consistant à extraire la partie chantée d’un titre pour la superposer à la partie instrumentale d’un autre (pour plus d’infos sur le mash-up, voir notre article).
Samedi dernier DJ Zebra, Antoine Minne de son vrai nom, était de passage à Lille afin de présenter son nouveau groupe : Zebra, Hogg and Horns. L’occasion de revenir avec lui sur sa carrière et d’en savoir plus sur son avenir en tant que DJ.
“Olivier : Une question toute bête : d’où vient ton nom, DJ Zebra ?
DJ Zebra : Ça vient du zèbre. C’était mon animal totem quand j’étais au lycée à Saint Quentin, en Picardie. Tu vois c’était pas loin. J’ai fait les Beaux Arts à Cambrai, donc je connais bien la région. Et donc ma prof de philo m’appelait le zèbre, puis ça s’est transformé en Zebra quand je suis devenu animateur radio sur Cambrésis FM. Puis quand j’ai rejoint Billy Ze Kick et les les Gamins en Folie en 93, ils m’ont appelé Zebra. Tout simplement.
Olivier : Et c’est après que DJ est venu s’accoler en fait ?
DJ Zebra : Oui. Quand j’ai déménagé à Rennes en 91 les Trans Musicales m’ont programmé en tant que DJ Zebra, et c’est là que j’ai rajouté DJ devant. Maintenant c’est une particule dont j’essaye de me débarrasser.
“Je suis devenu DJ par hasard”
Olivier : Alors justement tu viens de monter un nouveau groupe : Zebra, Hogg and Horns [galère un peu avec les "h aspirés"]…
DJ Zebra : Hogg and Horns, c’est un peu dur à prononcer au début [rires]. En fait c’est surtout l’envie de prendre la guitare. C’est l’instrument avec lequel j’ai commencé à faire de la musique quand j’avais 9 ans. Et j’ai même fait du solfège, le conservatoire etc. Et je suis devenu DJ par hasard. C’est grâce au bootleg, parce que je trouvais que c’était une façon de faire du rock avec des platines, que je me suis retrouvé DJ. Mais je continuais à me servir de la guitare pour trouver des accords, des harmonies. Cet instrument je l’avais abandonné sur scène et je l’ai repris dans mes DJ sets il y a deux ans, en essayant d’intégrer une partie live dedans. L’an dernier j’ai monté des concerts qui s’appelaient “Zebramix”, comme mon émission de radio, où j’étais à la guitare avec pleins d’invités et on faisait du bootleg en live. Et là en fait je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen de n’être que avec cet instrument, et le truc c’était de composer des chansons. Et j’ai trouvé en Tom Hogg, chanteur anglais [il vient de Sheffield, NDLR], le bon alter-ego. J’aurais bien aimé un chanteur français mais je n’ai trouvé personne pour rentrer dans cet esprit Rock’n Soul dans lequel je voulais aller.
Olivier : Justement, tu fais beaucoup de mix du rock français, et là vous chantez en anglais…
DJ Zebra : Parce que c’est des Anglais tout simplement. Là on triche pas. C’est vrai que j’ai un peu de mal avec les groupes français qui chantent en anglais, même si certains ont de bons accents. Là c’est un hasard, je voulais un bon chanteur qui donne cette couleur anglo-saxonne. J’avais pensé à quelqu’un comme Mathias Malzieu mais il était à fond dans Dionysos. J’aurais eu un Mathias Malzieu bis je l’aurais pris. Là j’ai trouvé Tom Hogg, il a à peu près le même genre de timbre de voix. Et il ramène le batteur de Hoggboy, Ritchie, avec lui. Donc ça fait vraiment un groupe franco-anglais et finalement je trouve ça plutôt bien. Avec une sélection de cuivres arrangés par Stéphane Montigny, de Dionysos lui aussi. Finalement je retrouve dans ce groupe l’esprit qu’on pouvait trouver dans mes bootlegs, comme celui de Noir Désir et Aretha Franklin.
Tom Hogg
Olivier : Alors tu dis que tu es devenu DJ par hasard : comment tu en es arrivé à faire du bootleg, si c’était la guitare et le rock qui t’intéressaient en premier lieu ? Qu’est-ce qui t’a conduit vers le bootleg ?
DJ Zebra : L’envie de tout mélanger. Quand j’étais à Rennes dans les années 90 je passais tous les styles de musique et je cherchais tout le temps des chansons qui dépassent les frontières entre les genres. Et quand j’ai entendu les bootlegs anglais à la fin des années 90 je me suis mis à travailler à base de samples. A l’origine je les bossais plutôt comme DJ Shadow ou Fatboy Slim, avec plein de bouts assemblés de samples rythmiques. Mais les bootlegs c’est bien plus que ça : c’est carrément recomposer un instrumental, mettre un a cappella et puis mélanger des univers complètement différents. Et je trouvais que c’était en même temps drôle, parce qu’il y a une fonction un peu comique parfois dans le bootleg, un peu gonflé parce qu’on détourne des chansons cultes, et puis très rock parce que c’est de la chanson, ça se chante autant que ça se danse.
“Certains considèrent le bootleg comme un vrai mouvement musical”
Olivier : Justement, il n’y a jamais un groupe qui t’a fait la gueule pour avoir mixé une de leurs chansons ?
DJ Zebra : Non, c’est plutôt les fans d’un groupe qui me font la gueule. Je sais qu’il y a cinq ans, quand j’ai commencé à mettre des bootlegs dans les grosses soirées rock à Paris, je me suis fait siffler. J’avais fait Shaggy et Rage Against the Machine, c’était un de mes premiers bootlegs. Et pourtant je pensais que les gens étaient habitués grâce aux 2 Many DJs. Mais en fait non, parce que les 2 Many DJs ont ouvert le rock aux clubbers. Grâce à eux on pouvait dès fois entendre du rock dans des discothèques. Mais les gens qui vont aux concerts de rock et qui parfois sont dans les soirées dites “rock”, c’est pas du tout le public de club. Il avait pas encore assimilé le côté 2 Many DJs. Mais les groupes eux-mêmes ont plutôt eu l’esprit ouvert. Il se sont dit “c’est une forme de mix aventureux”. Il y en a peut-être un ou deux qui m’ont dit “j’aime pas trop ce que tu fais” mais jamais…
Olivier : … qui par exemple ?
DJ Zebra : A ça je le dirai pas [rires]. Beaucoup des artistes que j’ai remixés sont venus en live avec moi, comme Cali, Mathias, Louise Attaque, Anis, Oxmo Puccino… et ceux qui m’ont fait la gueule tant pis pour eux. Après je peux comprendre qu’on puisse trouver le bootleg inintéressant. C’est juste un amusement. Moi je compare ça au graffiti par rapport à la peinture. Pour les peintres le graff c’était de l’amusement sur des trains. Et puis petit à petit le graffiti s’est retrouvé vraiment considéré comme un art pictural à part entière. Et je trouve que pour le bootleg on en est là en ce moment. Certains le considèrent comme un vrai mouvement musical.
DJ Zebra à la guitare
Olivier : Qu’est-ce que tu penses d’autres DJs qui eux aussi font du mash-up, mais un peu à la chaîne avec 20-30 chansons différentes dans un même titre, comme Girl Talk par exemple ?
DJ Zebra : Pour moi Girl Talk ça se rapproche plus du Méga Mix, comme ça se faisait dans les années 80, c’est à dire une suite de titres comme ça, en chaîne. Le vrai mash-up à mon avis c’est vraiment la superposition de deux univers. Les meilleurs mash-ups c’est A + B. Après on peut s’amuser à mettre des petits bouts. Mais moi ce que j’aime bien aussi dans le bootleg c’est qu’on peut, quand on est musicien et producteur, y mettre des instruments à soi. Moi ça m’arrive souvent de mettre des basses ou des guitares dans mes bootlegs. Et puis on peut se dire finalement “je joue avec ce groupe” tu vois. Par exemple : je suis fan de Prince, et quand je mets de la guitare sur un bootleg de Prince c’est genre “whaaa j’ai joué de la guitare avec Prince” [rires]. Le bootleg, c’est ça : on peut tout se permettre.
Olivier : Alors justement tu te revendiques avant tout comme musicien, tu as beaucoup étudié la musique avant de devenir DJ. Mais il y a beaucoup de DJs qui, par contre, ont commencé directement en tant que tel. Est-ce que tu penses que c’est un manque, pour certains DJs, d’avoir peu de connaissances au niveau de la musique ?
DJ Zebra : Non parce qu’on peut travailler en collaboration. Quelqu’un comme David Guetta il est pas musicien et il bosse avec Joachim Garraud, qui l’est plus. Mais effectivement pour composer de la musique, surtout quand elle est chantée, il vaut mieux quand même avoir des bases de musicien. C’est à dire au moins avoir de l’oreille, savoir trouver de bonnes harmonies. Et souvent les productions électroniques manquent cruellement de relief, c’est très linéaire. Et c’est là qu’on remarque que certains qui sont musiciens, je pense à Justice notamment, ils savent ce que c’est des accords, il savent jouer du clavier. On sent plus d’harmonies. Et des mecs comme Laurent Garnier, qui n’était pas musicien à la base, se sont ensuite intéressés à ça, pour mettre plus d’harmonies dans leurs compositions électroniques. Voilà après ça regarde tout le monde. Il y a certaines choses très simples et très minimales qui sont très bien, et si ils avaient été musiciens peut-être qu’ils auraient pas tenté le minimalisme absolu. Moi je suis incapable de faire des choses minimales. Je ne sais pas composer des choses linéaires.
Zebra de retour aux platines
Olivier : Une autre différence aussi entre la manière avec laquelle tu te produis sur scène et ce qu’on peut voir par ailleurs avec d’autres DJs, c’est que t’as quand même une réputation de performer sur scène, tu bouges beaucoup. Est-ce que tu penses que les shows de certains DJs sont trop froids, justement parce qu’ils sont un peu statiques ?
DJ Zebra : Ça dépend. Moi quand je suis dans une cabine DJ dans une boîte, ce qui m’arrive très très rarement, je bouge pas. J’ai pas besoin de bouger ça sert à rien. Les gens sont là pour draguer et boire des coups. Et dans le milieu du clubbing ça se passe comme ça : le DJ est tellement habitué à être dans cette situation qu’il va pas en faire des caisses. Par contre c’est vrai que du coup quand on les met sur un scène il faut habiller. Alors on met des lumières, on met des stroboscopes, on met un décor… si tu prends un mec comme Vitalic, c’est pas un performer. Il axe sur tout sur l’ambiance et les lumières.
Olivier : Et ça marche ?
DJ Zebra : Ça marche parce que ça correspond à la musique. Moi je joue une musique rock. Donc on m’éclaire de face. En plus de moi je suis très sensible au climat des concerts rocks. Je vais jamais en boîte, je vais voir des concerts. Donc j’ai envie de reproduire ça. Et très vite je me suis dit “il faut que je me pousse physiquement”. Ce n’est que de cette manière que je sais faire le DJ. C’est petit à petit que j’ai appris à avoir de la technique, mais au début il fallait que je pallie mon manque de technique par beaucoup de mouvements [rires].
Olivier : Et ce soir par exemple t’as l’intention de te foutre à poil sur scène ?
DJ Zebra : Non c’est fini ça [rires]. Je l’ai fait au début, genre je coupe le son comme dans la chanson de Katerine et puis “bon je me fous à poils” [rires]. Mais ça fait bien 4 ans que je fais plus ça. Mais il y a toujours des gens qui continuent à dire “ouais à poils Zebra” ! Bon…
Olivier : Sait-on jamais donc.
DJ Zebra : Non, non [rires].
“On ne me met jamais dans les bonnes soirées électro. Je suis un peu le vilain petit canard.”
Olivier : Et pour revenir à ton nouveau groupe, l’album c’est prévu pour quand ?
DJ Zebra : C’est un climat particulier en ce moment. Les maisons de disques cherchent à signer des choses qui sont dans un mouvement. Tu remarqueras Sliimy a été signé parce qu’il y a eu Mika. Coeur de Pirate a été signé parce qu’il y a eu France Gall… Nous on est dans un climat avec Zebra, Hogg and Horns où il y a un mélange déjà, que j’affirme comme étant rock et soul. Actuellement ce mélange là n’a pas d’exemple commercial. On peut dire que les Noisettes c’est quelque par Rock’n Soul, sauf qu’il y a une nana, elle est jolie, elle est sexy. Nous c’est plutôt un mélange de Jon Spencer Blues Explosion et de Otis Redding. Et je vois pas trop d’équivalent en ce moment. Et les maisons de disques non plus donc elles sont là à se dire : “oui faut voir sur quelle radio ça pourrait être joué, comment on pourrait le vendre, et puis votre look…” C’est désastreux, moi je parle musique et eux ils me parlent produit commercial. Donc pour le moment on a pas vraiment d’opportunité intéressante niveau signature. Mais je profite de ma notoriété de DJ pour présenter le groupe à chaque fois. Ce qui est le cas ce soir. Et tant qu’il y aura des salles et des programmateurs pour être intéressés par ce projet de soirée complète on continuera à jouer. Peu importe s’il y aura un disque, je m’en fous. Finalement j’en suis à me demander si on va pas faire un disque que pour Internet et gratuit. Façon Radiohead. Après Radiohead l’ont vendu. Et c’est pas un mal, il peut être vendu après avoir été livré gratuitement, il y aura toujours des gens qui auront envie d’acheter des disques, de posséder l’objet.
Thomas Hening
Olivier : Et si ton groupe se lance bien, DJ Zebra sera de l’histoire ancienne ?
DJ Zebra : Ça dépend. Je ferme la porte à rien. Je sais qu’il y a la moitié de mes sets de DJ dans lesquels je suis pas franchement à l’aise. C’est à dire quand c’est vraiment du clubbing, que je joue tard à deux heures du matin pour des mecs bourrés ou quand on me fout avec d’autres DJs qui ne me correspondent pas. Parce qu’on ne me met jamais dans les bonnes soirées électro. Je suis un peu le vilain petit canard.
Olivier : Qu’est-ce que tu entends par là ?
DJ Zebra : Par exemple moi j’aimerais bien me mesurer dans une même soirée à des gens comme Yuksek, à Autokratz, à des mecs que j’aime bien dans l’électro, voire à Justice. J’ai pas du tout peur de me produire après Justice, même si c’est énorme. Mais non on va plutôt me mettre avec des DJs un peu généralistes, ou alors des DJs de bootleg qui bafouillent un peu. Donc finalement je préfère jouer dans des festivals rock ou des concerts rock autour de bons groupes. Genre aller jouer après Dionysos ou après Keziah Jones, ça m’est arrivé et j’ai adoré. Sur le terrain rock je sais que les gens apprécieront que je vienne avec des instruments et des musiciens. Donc au final cette peau de DJ j’essaye de m’en débarrasser de plus en plus et de me faire accepter vraiment comme un musicien. Mais comme je suis à l’aise avec les platines je ferme pas la porte. Un peu comme les 2 Many DJs ont voulu imposer Soulwax et finalement ont trouvé le bon crossover entre Radio Soulwax et 2 Many Djs. Ça peut être dans le même genre de parcours que je peux me retrouver.
Olivier : Une petite question bonus pour terminer. Si tu devais te définir en un bootleg de deux chansons, ça serait quoi ?
DJ Zebra : J’ai un point de vue très personnel là-dessus. Parce que pour moi il y a deux styles de bootlegs : il y a le bootleg qui essaye de te faire croire qu’une rencontre a vraiment existé. Comme par exemple avec mon bootleg de Telephone et de The Cure. Et de l’autre côté il y a les bootlegs qui font rire parce qu’ils sont grossiers. Et pour moi je suis plus dans la catégorie du bootleg fantasme, avec l’idée que deux chansons vont tellement bien ensemble que ça aurait pu se produire dans la réalité. Donc par exemple, dans ceux que j’ai faits, je dirais Joey Starr dans le rôle de Dark Vador [rires]. C’est ça que j’aurais aimé voir un jour. C’est comme ça que j’aime les mash-ups.”
Merci à DJ Zebra ainsi qu’à l’Aéronef
Le Myspace de Zebra, Hogg and Horns
Crédits photos : Olivier Clairouin