La romancière camerounaise Léonora Miano a des choses à dire. Elle l’a montré samedi au cours d’une rencontre-débat au musée Dapper, où il était principalement question de son « nouveau » roman (ne dites pas « dernier », elle n’aime pas ça…), Les Aubes écarlates (Plon, 2009), qui aborde la question difficile de la traite négrière. L’auteure y a répondu pendant plus d’une heure, avec sérieux, franc-parler et un soupçon d’espièglerie, aux questions de l’animatrice du débat (Nathalie Carré) et à celles des nombreux spectateurs – dont quelques fans – présents dans l’auditorium. J’ai retranscrit certaines de ses réponses (ci-dessous).
Des choses à dire, donc, mais Léonora Miano le fait évidemment avant tout par écrit. Chacun de ses livres sonde l’identité de l’Afrique et les rapports, souvent complexes, que ses rejetons entretiennent avec le continent. L’Intérieur de la nuit (2005) dénonçait la barbarie qu’entraînent les guerres civiles ; Contours du jour qui vient (2006) évoquait l’impasse de l’avenir pour les jeunes générations en Afrique ; Tels des astres éteints (2008) déplaçait le regard sur la quête identitaire qui est celle de la diaspora afro-caribéenne en Europe.
Encore une fois, avec Les Aubes écarlates, Léonora Miano livre une œuvre métaphorique, crée des personnages et une histoire au service d’une quête spirituelle pleine de profondeur et de sensibilité et, si l’on en croit les réactions de l’auditoire du musée Dapper, aux vertus thérapeutiques : il s’agit de réconcilier l’Afrique avec elle-même.
« QUAND ON PARLE DE L'AFRIQUE... »
Où il est question du regard de l’autre, en particulier de l’Occident, sur un continent qui n’a pas encore cicatrisé des marques physiques et symboliques laissées par le colonialisme…
Léonora Miano : « Quand on parle des conflits africains, on parle souvent de guerres fratricides. Mais il n’y a pas de guerre fratricide en Afrique plus qu’ailleurs. Toutes les guerres sont fratricides au sein d’une même humanité. Quand on parle de l’Afrique subsaharienne, on parle d’espaces qui ont été créés par d’autres, de frontières qui ont été créées par d’autres, de noms de pays qui ont été créés par d’autres.
« Par exemple, les différentes populations du Cameroun n’ont pas choisi d’avoir une destinée commune. Cette Afrique n’a que 50 ans d’âge. On ne va pas réussir en quelques décennies ce qui a pris des siècles pour l’Europe. En France, ça n’a pas été si évident, pour qu’aujourd’hui Bretons et Basques aient le sentiment d’appartenir à un même espace. Il faut du temps et on ne nous en laisse pas beaucoup. Nous devons apprendre à habiter ces espaces. Nous allons nous approprier ces espaces. »
« LA VOIX DES DISPARUS »
Dans Les Aubes écarlates, des passages donnent à entendre la voix de présences mystérieuses surgies du passé…
Léonora Miano : « Mon livre ne parle pas d’esclavage, mais de traite, laquelle fait à la fois partie de la mémoire afro-descendante et de la mémoire africaine. Ce qu’on y entend, c’est la voix de toutes les personnes qui ont péri pendant la traite négrière et n’ont pas de sépulture symbolique sur leur terre, pas de trace dans leur communauté.
« En Afrique, nous croyons aux esprits ; ici ce sont les esprits des disparus de la traite négrière. Il fallait leur donner une façon de parler qui ne soit pas la nôtre ; je les ai fait parler de manière poétique, grandiloquente, voire lyrique.
« Le lecteur entend ces voix mais pas les protagonistes du roman, qui vivent dans l’oubli du passé. J’ai donc introduit un personnage, apparu déjà à la fin de L’Intérieur de la nuit, qui sert de médiateur entre le monde des vivants et le monde des morts. »
« JE SOUFFRE DE CE SILENCE »
Quel discours sur la traite négrière en Afrique ?
Léonora Miano : « Ce roman est peut-être une première stèle, un premier mausolée pour les victimes de la traite. Ce retour aux sources et à soi n’est pas une sacralisation de la douleur, la traite n’est pas l’alpha et l’oméga de nos vies. Mais quelque chose en nous a sombré avec ces disparus. Je souffre de ce silence et j’aimerais qu’il soit levé. Il y a un discours sur la traite en Europe, il n’est pas possible qu’il n’y en ait pas en Afrique : c’est du domaine de l’incongruité. »
Les Aubes écarlates
de Léonora Miano
Plon, 2009
274 p., 18,90 euros
Pour finir, il me faut dire quelques mots sur le prochain roman de Léonora Miano, qui y songe déjà sérieusement, en tout cas assez pour livrer quelques indices à ce sujet. On sait que la musique a une grande place dans son œuvre, autant dans la structuration des romans que dans leur inspiration. En l’occurrence, l’auteure a confié être « partie de la chanson Four Women de Nina Simone », pour un roman qui mettra en scène quatre femmes faisant partie, à des degrés divers, de l’existence d’un même homme : « Ce sera quelque chose de plus intime, de plus charnel. » A suivre…