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La recherche, individuel ou collectif ?

Publié le 27 octobre 2009 par Monthubert

Il y a un an, Valérie Pécresse confiait à un journaliste qu’elle avait gagné la bataille idéologique de l’individualisation dans la recherche et les universités. Et pour cause : elle était sur le point de faire passer le décret tant controversé réformant le statut des universitaires, étape supplémentaire dans sa politique de mise en concurrence des universités entre elles (via la plan campus notamment), et des universitaires et chercheurs entre eux. L’obsession de ce pouvoir, c’est l’élite des chercheurs, l’élite des universités, ceux qui rapportent des prix Nobel, celles qui figurent en bonne place dans le classement de Shanghaï. En réalité, plutôt qu’une logique d’émulation, ce qui anime le gouvernement c’est une politique d’élimination, car pour eux il y a deux catégories, les bons et les mauvais. Et finalement, si on pouvait se débarrasser des mauvais, la recherche ne s’en porterait pas plus mal.

C’est dans cette logique que Valérie Pécresse refuse de créer des emplois de chercheurs, en disant que l’enjeu est de faire des recrutements de qualité, ce qui fait rire jaune ceux qui siègent dans les comités de sélection et voient tous les candidats de valeur qui ne trouvent pas de poste en France. Cette politique trouve aujourd’hui sa traduction dans la Prime d’Excellence Scientifique, destinée à 20% des chercheurs, et qui leur rapportera jusqu’à 15 000 € supplémentaires par an. Pour la mettre en place, le CNRS envisage de l’octroyer d’abord aux titulaires d’une médaille du CNRS. Tout cela peut paraître raisonnable au profane. Mais c’est ignorer la réalité de la recherche, car derrière la figure du savant qu’on met en avant dans les médias ou par le biais des récompenses, il y a un travail collectif. Jusque là, la qualité individuelle était récompensée par des progressions de carrière plus rapides, ou des distinctions symboliques. Mais avec la Prime d’Excellence Scientifique, le fossé se creuse entre ceux qui sont distingués et ceux qui ont contribué à cette distinction, que la contribution soit directe, comme les membres de l’équipe de recherche, ou indirecte, car les travaux d’un chercheur se nourrissent toujours des apports des autres chercheurs. Surtout, on s’achemine vers un système où les écarts de revenus entre les chercheurs vont exploser.  Avec des conséquences graves : pourquoi, par exemple, se dévouer à des tâches profitant à la collectivité si le collègue d’à côté, en jouant perso, devient nettement mieux payé ? Pourquoi aller parler d’un projet de recherche à un collègue qui est en concurrence avec soi ?

C’est pour rappeler ce qui devrait être une évidence pour ceux qui ont en charge l’administration de la recherche qu’un chercheur “excellent”, Didier Chatenay, a publié sur le site de SLR une lettre ouverte à la direction du CNRS, expliquant qu’il refuserait cette prime. Cet acte est courageux, mais aussi cohérent avec les conclusions des Etats-Généraux de la Recherche, auxquels Didier Chatenay a beaucoup contribué. Dans le rapport final, il était écrit :

“[Les primes] voient leur effet incitatif contrebalancé par le risque de désinvestissement de ceux qui n’ont pas ou plus cette prime. Par ailleurs, l’existence de primes au mérite peut conduire les agents à orienter leur activité vers des formes qui leur permettront d’atteindre rapidement les critères d’attribution de celles-ci, au détriment parfois de l’engagement dans des projets de long terme, plus risqués.
Il est proposé que ces primes soient progressivement remplacées par un mécanisme compensatoire permettant une modulation de la rémunération directement intégrée dans les salaires et mettant en jeu une accélération du franchissement d’échelons et des promotions, en cas d’évaluation favorable.”

Comme le montre la lettre ouverte de Didier Chatenay, et plus largement le mouvement contre la réforme du statut des enseignants-chercheurs de l’an dernier, la bataille idélogique que Valérie Pécresse croyait avoir gagné il y a un an ne l’est pas encore. Et il est impératif de la mettre en échec, car c’est la structuration même de la recherche, la place des mécanismes de coopération, d’échanges, qui sont en jeu.


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