Certains soirs, avant d’écrire la note du lendemain, l’esprit est captif d’un sujet. Vous essayez de l’écarter, comme déjà traité, rabâchage … Il ne veut pas vous quitter; il rôde et parasite toute autre idée. Alors il faut se plier !
Hier, sans doute aidé par les journaux télévisés, c’était la récurrence des expulsions d’étrangers en situation irrégulière; Eric Besson justifiant; le jeune Afghan pleurant devant la caméra compatissante; les journalistes commentateurs remplis de la compassion de rigueur. Il explique qu’il ne peut pas retourner chez lui parce qu’il y a la guerre, les Talibans, Al Quaïda certes, mais aussi parce qu’il est criblé de dettes contractées auprès de ses passeurs !
Des notes ne demandaient qu’à être réactivées sur ce thème. Pourquoi redire autrement ?
Laissons au contraire le nouveau -ou l’ancien- lecteur décider si les réflexions de l’époque sont à corriger. La note rééditée -il fallait bien en choisir une- avait été rédigée à propos d’un livre et comporte des liens renvoyant sur d’autres traitant du même sujet. Les commentaires enregistrés lors de la parution initiale demeurent, également une manière de faire le point !
[1ère édition le 13 janvier 2009]
Une note “Ils passeront “, indiquait l’irrésistible marée des flux migratoires, que la force du nombre et de la jeunesse viendrait à bout de toutes les citadelles, même les plus serrées. L’étincelle de l’espoir est dans les yeux de ceux qui les assiègent; ils échouent; ils recommencent … Le renoncement est dans l’iris des autres; ils doutent, vieillissent et craignent la mort. La lecture d’”Eldorado” de Laurent Gaudé est saisissante et m’amène à revenir sur cette geste éternelle.
L’auteur de “La mort du Roi Tsongor ” ou du Goncourt 2004 “Le soleil des Scorta “, réussit aussi bien dans le roman en prise sur l’actualité, que dans celui aux réminiscences historiques comme “Cris “.
Dans “Eldorado“, il nous invite à un double voyage, en forme de croisement diabolique.
La citadelle Europe se défend; elle repousse les envahisseurs indésirables. C’est la fonction du capitaine Piracci, marin sicilien de Catane hantant la grande bleue à la recherche des barques à la dérive. C’est l’homme qui met fin au rêve, qui endigue la dernière étape du voyage. Il est usé. Il n’y croit plus, il doute : Il a croisé tant de regards éperdus d’éspoir, tant de jeunesse, qu’il cède et quitte son premier destin pour aller lui aussi vers son Eldorado à lui, au Sud. Ce n’est pas celui que recherche de toutes ses forces Soleiman, le frère de Jamal, le soudanais et Boubakar l’errant perpétuel. Pour eux l’Eldorado est au Nord, matériel, froid, désincarné, pour le capitaine, il est au Sud, spirituel, désargenté anonyme. Ils sont en quête d’une Terre promise, d’un Paradis, mais ce n’est pas le même. Massambalo ? Ils se croiseront s’en se reconnaître, mais en percevant l’Ombre. Cette ombre qui leur permettra pour l’un de quitter le jeu pour l’autre de tout entreprendre, la même Ombre !
La petite Mer (Mare Nostrum) est aussi la vedette, avec ses deux rives si proches et dissemblables, si liées et tellement ennemies, si cruelles chacune à sa manière.
Elle ballotte les barques remplies de morts, les passeurs cruels et escrocs, les gardes frontières dépassés, les mauvaises consciences de part et d’autre, sans préjugés, sans presque s’en rendre compte. Gaudé lui prête son style alerte, bref sans concession.
De surcroît, il maîtrise l’intrigue, vous haletez d’aller plus loin de savoir, de deviner les destins croisés, le roman est aussi suspens ! Le roman des destins en rupture, des miroirs à deux faces ou des espoirs mirages, pour l’un comme pour les autres.
“La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C’est certain et nous le savons tous deux. Elle sait qu’elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu’elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l’ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage. Nous ne partons que parce qu’elle accepte de ne pas nous retenir. Aucun de nous deux n’auraient la force de le faire si elle ne consentait à ce départ. Elle offre son silence. […]
L’herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l’or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbéreront les rayons du soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L’Eldorado, commandant. Ils l’avaient au fond des yeux. Ils l’ont voulu jusqu’à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l’oeil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes.”
Il n’y a pas d’Eldorado ! Il y a Massambalo …
Vous lirez également le fabuleux “Désert” de JM Le Clézio .
Plus récente une note un peu “grinçante” avait évoqué l’évacuation de la jungle de Calais : “Calais et les Anglais “