Le chêne un jour dit au roseau :
« N’êtes-vous pas lassé d’écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l’apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n’est-ce pas déjà trop
Le pli de l’humaine nature ? »
« - Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à hauteur de roseau)
Pourrait vous prouver, d’aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde,
Que certains orgueilleux qui s’imaginent grands. »
Le vent se lève sur ces mots, l’orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé –
Il se tenait courbé par un reste de vent –
Qu’en dites-vous donc, mon compère ?
(Il ne se fut jamais permis ce mot avant),
Ce que j’avais prédit n’est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire, triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne. »
Jean Anoulh, Fables, Folio 1973
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