Vous avez remarqué que les que les publicités d’aujourd’hui font tout pour inciter le consommateur à acheter les produits alimentaires dont elles vantent les mérites, mais ajoutent en sous-titre une note du style « évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré » (1)? Bon OK, c’est aberrant et parfaitement hypocrite, mais ça a aussi du bon. Ca peut éventuellement conduire le gros tas du siège d’à-côté à avoir quelques scrupules au moment de se précipiter au stand friandise du multiplexe et d’aller acheter un gigantesque seau de popcorn dont il va allégrement se bâfrer pendant tout le film, m’imposant au passage la souffrance stéréophonique de son machouillage écoeurant et cholestérolement incorrect. Hum ! Passons…
Je propose que l’on aille plus loin dans la prévention et qu’à la mention « consommez au moins cinq fruits et légumes par jour », on ajoute l’avertissement « mais évitez les champignons hallucinogènes ». Parce que franchement, je m’inquiète pour la santé mentale des personnes qui ont accouché de l’histoire de Tempête de boulettes géantes, la fable alimentaire qui sert de prétexte au nouveau film d’animation de Sony Pictures, en relief s’il-vous-plaît !
Jugez plutôt : Flint Lockwood, jeune scientifique dont les créations – rats ailés, traducteur de pensée pour singes, chaussures en spray,… - se transforment invariablement en catastrophe pour sa ville de Swallow Falls, invente enfin quelque chose d’utile : une machine capable de transformer l’eau en nourriture. De quoi offrir à ses concitoyens une alimentation plus variée et plus appétissante que les boîtes de sardines dont, contrainte et forcée, cette petite île de pêcheurs s’est fait une spécialité. A la suite d’une fausse manœuvre, son prototype se retrouve propulsé dans la stratosphère, occasionnant… une pluie de hamburgers ! Flint réalise qu’il peut faire pleuvoir, sur commande, des repas complets, en fonction des désirs des habitants.
Il devient une véritable idole locale et gagne même l’affection d’une jolie présentatrice météo envoyée sur l’île pour couvrir les événements. Mais il ne parvient toujours pas à obtenir l’approbation de son père, un pêcheur traditionnaliste et assez renfermé. A défaut du père, Flint se rapproche du maire (euh…), un homme ambitieux et trop gourmand, qui le pousse à réaliser des festins de plus en plus conséquents, au risque de détraquer l’invention. C’est évidemment ce qui finira par se produire, avec la chute d’aliments de plus en plus gigantesque, menaçant finalement le monde entier d’être anéanti par des tornades de spaghetti, des chutes de boulettes grosses comme des météorites ou des avalanches de crème glacée ! D’une montagne de restes à Lard-Maggedon, il n’y a qu’un pas et Flint et ses amis ont peu de temps avant d’empêcher la destruction de la planète…
Les auteurs du film, Chris Miller et Phil Lord, se sont inspirés d’un classique de la littérature enfantine, signé par Judi et Ron Barrett à la fin des années 1970 (2), mais s’en sont éloignés pour signer une parabole contemporaine salutaire sur les dangers de la surconsommation et la malbouffe. Bon, quitte à trahir l’œuvre originale, on aurait préféré, plutôt que le sempiternel cliché sur le droit à la différence et le classique mélodrame familial entre le père et le fils, une pointe de réflexion sur la faim dans le monde et la nécessité d’une intervention humanitaire dans certains pays souffrant globalement de famine - République Démocratique du Congo, Erythrée, Burundi, Niger, Sierra Leon,… - et honteusement ignorés par les pays les plus riches,... Mais bon, n’en demandons pas trop. Pour une production hollywoodienne, ce pamphlet contre la société de consommation est déjà surprenant.
Plus conventionnel, a priori, est cet hommage que les auteurs ont souhaité rendre aux films-catastrophe comme Twister, Armaggedon ou Le jour d’après. Mais le côté nonsensique du récit leur a permis de débrider totalement leur imagination et de montrer à l’écran les péripéties alimentaires les plus délirantes, comme ce fortune cookie chinois qui s’abat sur la muraille de Chine, annonçant aux touristes terrifiés qu’ils vont bientôt être écrasés par un épi de maïs géant, ou la disparition d’une école écrasée par un pancake monstrueux, ou encore la Tour Eiffel transformée en pique pour un club-sandwich démesuré…
Cette réjouissante avalanche de victuailles est sublimée par une 3D plus que correcte, qui plonge littéralement le spectateur dans l’action. Mais même sans cela, le film est une vraie réussite technique. Les personnages ne sont pas aussi expressifs que chez Pixar, mais ils sont néanmoins attachants. Les décors et les textures tiennent aussi la route face à une concurrence mieux armée technologiquement. Mais c’est sur les effets de lumière que Tempête de boulettes géantes sort du lot. Grâce à l’emploi du logiciel dernier cri « Arnold », on a rarement vu un rendu dynamique de la lumière aussi performant. Les reflets, sur l’eau notamment, sont d’un réalisme frappant et toute la séquence dans le palais en jelly anglaise est un véritable émerveillement visuel.
Et de toute façon, ce qui fait que ce film est aussi enthousiasmant, c’est le sentiment de liberté absolue qu’il dégage. Les auteurs s’autorisent toutes les folies, toutes les audaces visuelles, et les enchaînent avec une frénésie parfaitement grisante. Certes, le délire n’est pas comparable aux trips déjantés d’un Bill Plympton, mais, dans le domaine ultra-balisé du film pour enfants, il se place au niveau de ceux d’un Aladdin ou d’un Kuzco l’empereur mégalo.
Avec Tempête de boulettes géantes, Sony Pictures prouve qu’il n’a plus rien à envier aux deux géants de l’animation en image de synthèse que sont Pixar et Dreamworks. Ce pamphlet alimentaire complètement déjanté est dopé à l’énergie. Il contient une bonne dose de vitamine C comme Cinéma, des acides fort bien animés, des (sels min-) héros attachants, des glucides très lucides – des pizzas belliqueuses… - et du concentré de sardine.
Vous allez vous régaler…
Note :
(1) www.mangerbouger.fr
(2) « Il pleut des hamburgers » de Judi et Ron Barrett – éd. L’école des loisirs