Tout commence comme dans un vieux film des années 1970. Une musique signée Marvin Hamlisch (1). Un générique où des titres écrits avec une police très « pop art », défilent sur des images ayant la texture granuleuse-terne des pellicules de l’époque et montrant de vieux magnétophones indiscrets en train d’enregistrer des conversations tournant autour d’intérêts industriels.
On nous présente Mark Whitacre, incarné par un Matt Damon moustachu. Le bonhomme est cadre dirigeant de la puissante entreprise agroalimentaire ADM. Il se débat avec un problème de contamination virale qui fait baisser le rendement des fermenteurs de l’entreprise, qui permettent d’extraire, par biotechnologie, les acides aminés issus du maïs. Un mystérieux correspondant japonais l’informe qu’une « taupe » se dissimule parmi le personnel de l’entreprise et a sciemment introduit le virus dans les cuves de fabrication. Il est prêt à lui révéler le nom du saboteur contre une forte somme. Whitacre essaie de persuader ses dirigeants d’accepter l’offre mais ceux-ci refusent de céder à ce chantage et décident de faire appel au FBI.
Quand les fédéraux débarquent chez Whitacre pour installer des mouchards sur son téléphone, le jeune homme en profite pour aiguiller les agents sur une autre affaire, autrement plus explosive. Il avoue que l’entreprise et ses principaux concurrents mondiaux négocient, en toute illégalité, les tarifs de leurs produits, afin que chacun tire profit d’un marché dont ils ont le monopole. Les fédéraux sont estomaqués. Ils décident d’utiliser Whitacre comme informateur pour réunir les preuves nécessaires à faire tomber ce géant de l’industrie agroalimentaire.
Là, on s’attend à ce que The informant ! soit un film d’espionnage jouant à fond la carte de la paranoïa, avec espions, taupes et agents doubles, coups de théâtre et manipulations. Un peu comme dans ces grands films tournés dans les années 1970, qui profitaient du climat de suspicion générale occasionné par la guerre froide ou le scandale du Watergate - Conversation secrète de Coppola, Les trois jours du Condor de Pollack,… - ou qui s’ingéniaient à mettre le spectateur sur de fausses pistes – L’arnaque de George Roy Hill. Ou alors à un film politique dans la veine d’Erin Brokovich, seule contre tous, où Soderbergh partait en guerre contre les grands groupes agrochimiques, ou bien, pour repartir dans les années 1970, aux films d’Alan J.Pakula.
C’est le cas pendant plus de la moitié du film, où chaque avancée de l’enquête rend la situation encore plus complexe, plus risquée pour le personnage principal et laisse entrevoir des pratiques peu recommandables de la part du géant industriel.
Et puis, imperceptiblement, l’image se fait plus contemporaine. On voit des téléphones mobiles, des structures plus modernes. On apprend, un peu stupéfaits, que le film se déroule en fait dans les années 1990. Et on se demande alors quelle mouche a bien pu piquer le cinéaste pour nous embarquer ainsi dans cette esthétique très 70’s, hormis l’occasion d’un exercice de style brillant mais tape-à-l’œil et d’un hommage à certaines de ses œuvres de chevet.
Puis le scénario prend un tour inattendu et on comprend que tout ceci n’était qu’une mystification, une fausse piste destinée à nous détourner de l’essentiel. Nous avons été bernés par le cinéaste comme les agents du FBI se sont laissé entraîner par le mélange de vérités et de mensonges de Whitacre.
Car The informant ! est avant tout l’histoire incroyable mais vraie (2), d’un escroc de génie doublé d’un menteur pathologique, qui a surfé sur les magouilles de son entreprise pour s’enrichir personnellement. Un type à la personnalité déroutante, extrêmement complexe, qui faisait partie intégrante d’un système corrompu jusqu’à la moelle et en a largement profité, mais qui a aussi tout fait pour le faire exploser de l’intérieur. Un homme calculateur et malin capable de trahir sans scrupule ses anciens mentors, mais assez naïf pour penser que ceux-ci lui offriraient, après tout ce raffut, le poste de président de la compagnie. Assez intelligent pour s’appuyer sur les agents du FBI, mais assez idiot pour continuer ses petites magouilles alors qu’il collaborait avec eux. Bref, une énigme vivante.
Matt Damon, avec sa bouille ronde engageante et son allure d’éternel gamin innocent, était l’acteur idéal pour camper ce personnage apparemment très sérieux et équilibré, mais en réalité beaucoup plus tordu qu’il n’y paraît, à la limite de la maladie mentale.
Face à lui, outre Scott Bakula en agent du FBI dépassé par les événements, on trouve beaucoup d’acteurs spécialisés dans les rôles comiques comme Thomas F. Wilson, Rick Overton, Tony Hale, Patton Oswalt ou Paul F. Tompkins. La raison de ce drôle de casting? Steven Soderbergh a jugé l’histoire de Whitacre tellement improbable qu’elle en devenait malgré elle un sujet de comédie. De fait, le film est porté par une légèreté qui tranche avec son climat de paranoïa. Mais, toujours pour illustrer le thème des faux semblants, il a demandé à ses acteurs comiques de jouer le plus sérieusement possible, sans effets humoristiques.
Il en découle un ton assez particulier, qui risque fort de dérouter plus d’un spectateur – mais peut-être est-ce volontaire ? D’autant que le film n’est pas exempt de défauts. On déplore ça et là certaines longueurs qui cassent le rythme bien huilé du film et atténuent la portée de certains rebondissements de l’intrigue. Pas étonnant de la part d’un cinéaste qui se préoccupe assez peu de la durée et du rythme de ses œuvres (rappelez-vous de son diptyque sur le Che et les interminables marches dans la jungle…). Rien de bien grave, mais le film tarde à démarrer vraiment et, une fois que l’on a compris où Soderbergh voulait nous emmener, on a toujours un coup d’avance sur l’intrigue. Du coup, si le cinéaste semble beaucoup s’amuser de son dispositif manipulateur, il est vrai assez malin, le spectateur, lui, s’ennuie un peu. Dommage.
On touche là aux limites du cinéma de Steven Soderbergh, réalisateur de talent, mais qui a tendance à se laisser griser par sa propre mise en scène. Quand il met de côté le côté « exercice de style » de son œuvre, cela donne généralement des films intéressants. Dans le cas contraire, des œuvres prétentieuses, vaines et ennuyeuses. The informant ! appartient heureusement plutôt à la première catégorie. Certes, on est loin de la verve caustique d’un Erin Brokovich, par exemple, mais il faudra s’en contenter…
Note :
(1) Compositeur notamment de L’arnaque ou de Nos plus belles années
(2) Racontée dans « The informant » de Kurt Eichenwald – éd. Random House (en anglais, pas de traduction française pour le moment)