A l'arrière des berlines françaises, il fut un temps où la coupe de cheveux comptait presque autant que la musique. Un coup de peigne dans la crinière et deux dans la groupie, Mustang ravive plusieurs sentiments bouleversants qu'il faut ici déposer comme la gerbe de fleurs sur la tombe des ancêtres. Flash-back.
C'est troublant de beauté. A71, premier album du groupe Mustang a des odeurs de sépias, des couleurs de tessons de verre d'après concert et le toucher lourd des claviers d'Allemagne. Rien n'est encore dit, et pourtant déjà il sera dur d'être plus explicite : A71 est une limousine où s'entassent, pêle-mêle, Fonzie, Taxi Girl, Happy Days, Elvis, Bashung et ta sœur privée de sortie le samedi soir.
Clermond-Ferrand serait-il devenu le nouveau Mississipi des français fringués Rica Lewis ? Où se cache leur colonel Parker ? Gomina ou gel lubrifiant ?
Mustang transcrit le sentiment perdu, celui du rock interdit qui effraye les parents, ce temps où l'arme blanche se portait sous la veste en cuir et où le cul des prétendantes s se moulait gracieusement sur la plage arrière. Autant le dire clairement, Mustang réussit à grande échelle là où les surfeurs et autres garages rockeurs du Périgord échouent avec tant de poésie DIY. Boo-Hoo, on ouvre les capotes, direction le drive-in. L'époque rêvée où rien n'était possible et tout semblait probable.
A ceux qui lisent si bien entre les lignes et croit comprendre qu'il est ici question de Chats Sauvages et de Vince Taylor 2.0, ne raccrochez pas tout de suite le combiné. Derrière les tremolos du trio et le rock'n'roll moulé aux burnes, Mustang époustoufle davantage encore, sur En arrière en avant, peut-être la première dédicace française d'un groupe au Velvet de White light white heat, la fuzz sale comme un slibard de vendredi dernier, la batterie sourde qui sent le garage et les outils pour démonter les pneus du cliché. Plus loin sur la route, c'est Anne-Sophie et ses claviers prépubères qui étourdit, son refrain à la I'm so free de Lou, la chanson candide parfaite pour fêter la semaine de 40 heures. Il suffirait d'un rien pour croire à la voix de Dominique A, plongée dans un lac de codéine et de Subutex, sentir l'ombre d'un Johnny Cash (Johnny Flouze, en français littéral) aux studio Sun, s'étendre en trois tomes sur le juste milieu d'harmonies qui habite ces trois garçons coiffeurs.
Mustang, plus qu'un pari sur l'avenir, c'est un groupe qui tombe à pic. En bons français, on espère la chute, jusqu'à la fin, jusqu'au dernier morceau, Espérer encore à la faute de goût quand bien même les pistes précédentes n'auraient pas suffi. Sur La plus belle chanson du monde, on tient enfin la victime, sûr de son fait, convaincu que Mustang va enfin verser dans le lacrymal. Et puis non, les accords de piano fantomatique, la basse ronde comme un hamburger, le mellow qui flotte sur des paroles christico-romantiques (« La plus belle chanson du monde/J'ai voulu l'écrire pour toi / Je ne la chanterai pas pour toi / Je vais la garder pour moi »), on parvient finalement à cette conclusion sans réplique: Des groupes comme ceux-là, il en sort un tous les dix ans. Souvent dans l'indifférence générale. Parce que les gamins de banlieues n'ont pas leur place chez les notables. Ne reste, effectivement, qu'à se « coiffer les cheveux en arrière, et rentrer la chemise dans le pantalon ». C'est même le titre d'une chanson de A71, la meilleure sans doute aucun.Mustang, comme le rock des origines, marche au pétrole. En ces temps de crise, après plusieurs décennie de pollution, enfin une bonne raison de brancher Dick Rivers sur les Autobahn.
Mustang // A71 // Epic (Jive)