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Irvin Yalom "Le jardin d'Epicure. Regarder le soleil en face"

Publié le 25 octobre 2009 par Jb

Irvin Yalom jardin d'Epicure. Regarder soleil face

Irvin Yalom semble connaître un certain succès ces derniers mois dans nos contrées, avec de multiples parutions (dont certaines traductions sortent maintenant même s’il s’agit d’ouvrages parus dans la langue originale voici plusieurs années). J’avoue que sans l’achat récent, par ma chère et tendre, de l’un de ses livres en VO (When Nietzsche Wept, traduit en français par Et Nietzsche a pleuré), j’aurais peut-être mis encore un certain temps avant de croiser sa route.

Sauf que bien sûr, comme When Nietzsche Wept était en VO, je n’ai pu le lire ! Mais j’ai regardé de quoi il était question (puisque de toute évidence, malgré son titre énigmatique, il s’agissait d’un ouvrage de fiction et absolument pas d’un essai philosophique sur Nietzsche) et cela m’a paru intéressant, d’autant qu’un autre livre d’Irvin Yalom a attiré mon attention : The Schopenhauer Cure (traduit en français par La méthode Schopenhauer). Egalement un ouvrage de fiction.

Comme je tiens Nietzsche et Schopenhauer pour deux de mes philosophes favoris (avec quelques grecs anciens, Montaigne, Pascal, Leopardi, Cioran et une poignée d’autres), je me suis dit qu’il faudrait que je lise ces deux romans. J’ai vu par ailleurs, ce qui m’a encore un peu plus titillé, qu’Irvin Yalom était psychiatre (professeur émérite à l’Université de Stanford). Bien sûr les psychiatres doivent par définition traiter de sujets existentiels (la vie, la mort, le bonheur, la liberté, l’angoisse…), ceux qui font toutefois explicitement référence à la philosophie ne sont peut-être pas si nombreux. Bref Irvin Yalom m’a intéressé, j’ai acheté en poche La méthode Schopenhauer et l’ai mis de côté pour une lecture prochaine.

Et puis en flânant dans une librairie, j’ai été attiré par une publication très récente : Le jardin d’Epicure. Regarder le soleil en face. Titre impropre puisque le titre original est simplement Staring at the Sun. Mais j’imagine que l’éditeur français a trouvé que "Le jardin d’Epicure" ça sonnait mieux ! Mystère éternel des traductions françaises ;-)

Il ne s’agit pas, cette fois-ci, d’une fiction d’Irvin Yalom mais de ce qui est qualifié de "récits", encore qu’en réalité il s’agisse d’un essai sur la mort, enraciné dans la pratique psychiatrique et thérapeutique, très concrète, de Yalom. J’ai donc acheté et lu ce livre (n’ayant pas encore lu, donc, ses deux principaux romans) et je dois dire que son thème, comme son ton, m’ont intéressé.

La force de Yalom est celle que plusieurs autres auteurs américains (je parle ici non pas de romanciers mais de savants) possèdent également : parler de choses parfois complexes dans un langage très simple, très dépouillé et direct, sans aucun jargon, avec également un certain recul et un certain humour. Il s’agit là de "vulgarisation" au sens le plus noble du terme puisque ces auteurs, dans un même mouvement, transmettent leurs connaissances et leur pratique mais s’interrogent aussi sur elles.

Pourquoi est-ce que quasiment aucun auteur français (à nouveau, je ne parle pas ici de romanciers mais de psychiatres, historiens, philosophes, économistes…) n’est capable de faire ce même effort de limpidité, de simplicité, de critique épistémologique ? C’est un autre débat, qu’il vaut sans doute mieux ne pas lancer…

Toujours est-il que Le jardin d’Epicure. Regarder le soleil en face est un livre stimulant à bien des égards. Il aborde de façon frontale (ce qui n’est pas si habituel, surtout de nos jours où l’on a plutôt tendance à vouloir la garder à distance, voire la refouler) l’éternelle question de la mort. La thèse d’Irvin Yalom est simple : il n’est pas question d’éluder cette perspective qui nous guette tous, il n’est pas question de nier l’idée et la réalité de la mort, il faut au contraire en parler, l’affronter, l’apprivoiser, loin de nous déprimer par avance notre vie n’en sera que meilleure. Ce constat est tout aussi valable à l’échelle philosophique et existentielle que thérapeutique.

Comment parvenir à intégrer la mort dans notre esprit, sans pour autant renoncer aux joies de l’existence et sans pour autant être constamment obscurci, tracassé, voire détruit par cette idée ? Ici, Irvin Yalom propose plusieurs réponses possibles, s’appuyant sur la sagesse de nombreux philosophes : les grecs d’abord, plus particulièrement Epicure et sa fameuse maxime : "La mort n’est rien pour nous". En gros, nous dit Epicure, pourquoi nous angoisser à l’idée de notre propre mort puisque, lorsque celle-ci sera là, alors "nous" n’y serons plus, nous ne saurons donc pas que nous ne sommes pas là !

Plus proches de nous, Montaigne, Schopenhauer et Nietzsche peuvent également être d’un grand réconfort pour estomper l’angoisse de mort. Notamment ces trois réflexions de Schopenhauer qui se placent sur le terrain existentiel : 1- ce que nous possédons : pour le philosophe allemand les biens matériels sont des illusions, d’ailleurs plus nous possédons, plus nos exigences s’accroissent, finalement ce sont nos biens qui nous possèdent ; 2- ce que nous représentons aux yeux des autres : la réputation est aussi fugace que la richesse matérielle, les opinions ne tiennent qu’à un fil et nous rendent esclaves de ce que les autres pensent (ou plutôt de ce qu’ils semblent penser) ; 3- ce que nous sommes : c’est seulement ce dernier point qui importe vraiment, à savoir une bonne santé et une grande richesse intellectuelle. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous troublent, mais notre interprétation des choses : le savoir conduit donc à la sérénité.

Mais Irvin Yalom sait bien que ces idées philosophiques, aussi fortes et pertinentes soient-elles, ne suffiront peut-être pas à calmer les craintes les plus aiguës. Il propose donc quelques concepts qu’il a été amené à forger au cours de sa longue carrière de psychiatre, thérapeute (pour des groupes comme pour des individus) et enseignant. Les plus importants sont ceux d’ "expérience révélatrice", de "rippling" et de "thérapie existentielle".

Reprenant des concepts heideggeriens (distinction de deux modes d’existence : le mode quotidien et le mode ontologique), Yalom explique : "il faut en général une situation critique ou irréversible pour provoquer chez l’individu un sursaut qui le poussera à quitter le mode quotidien pour adopter le mode ontologique. C’est ce que j’appelle l’expérience révélatrice."

La peur de l’impermanence, du fugitif, de la "passagèreté", peut être contrebalancée par le rippling (ou effet de rayonnement, image des cercles d’influence concentriques) : "le rippling atténue la souffrance de l’impermanence en nous rappelant que quelque chose en chacun de nous perdure, que nous en soyons conscients ou non."

Enfin, dans sa pratique thérapeutique, Irvin Yalom revendique la thérapie existentielle : "nous les humains sommes les seules créatures pour lesquelles le principal problème est l’existence. Ainsi existence est mon concept clé. (…) La thérapie existentielle est donc fondée sur le principe intangible qu’outre les autres sources de désespoir, nous souffrons aussi de notre inévitable confrontation avec la condition humaine – les ‘données’ de l’existence. (…) De mon point de vue, quatre préoccupations ultimes sont particulièrement pertinentes pour la pratique de la thérapie : la mort, l’isolement, le besoin de sens et la liberté. (…) Le point de vue universel sur lequel je fonde mon travail clinique englobe la rationalité, évite les croyances surnaturelles, et postule que la vie en général et notre vie humaine en particulier proviennent d’événements fortuits".

Tel est précisément l’autre élément qu’il faut saluer dans Le jardin d’Epicure. Regarder le soleil en face : alors qu’il écrit pour un public d’abord américain, donc majoritairement religieux, Irvin Yalom n’a pas peur de dire que lui-même n’est pas religieux et que la religion n’a jamais été pour lui d’aucun secours dans la construction de sa sagesse et de son bonheur. Parallèlement à cela, il affirme qu’il ne tentera jamais, dans la thérapie, de détruire les éventuelles convictions religieuses de ses patients, quand bien même les jugerait-il illusoires, si celles-ci peuvent les aider à surmonter leurs difficultés.

Pour son ton très simple et direct, sa profondeur l'air de rien, Le jardin d'Epicure. Regarder le soleil en face mérite d'être lu et médité, par les profanes comme peut-être par les psys de tous bords et de toutes obédiences. J'ai désormais hâte de lire ses ouvrages de fiction !


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