TURZI ::: B comme machine à laver

Publié le 25 octobre 2009 par Gonzai

A l'occasion de la sortie de B, le deuxième album de Turzi, Gonzaï multiplie les pains psychés: Un portrait du leader maximo, une video Singles et 6 places à gagner pour leur concert du jeudi 29 octobre à l'Elysée Montmartre en envoyant un mail à desk@gonzai.com.

A viser partout en restant nulle part, B s'élève contre les rétro-modernes qui ont pendant dix ans respectés un triptyque ne servant qu'à collecter les petites culottes.

Une musique facile à écouter, facile à comprendre et utile seulement pour danser. Coincé entre les guitares poussiéreuses et le racolage coloré estampillé 'since 1984', A (2007) peinait encore à échapper à l'horizon en se braquant dans le rétroviseur, aussi panoramique soit-il. A n'avoir voulu que remuer les bras en faisant du sur-place dans la tête les yeux fermés, il est difficile de voir qui aura touché le cœur de la cible. B avance et fait son chemin, « dents serrés, les grattes qui te pètent la tête avec une batterie présente ».   

Un peu plus d'un mois avant la sortie de B, je rencontrais Romain Turzi dans son studio au Point Ephémère, « ma base, et le jour où on sera viré on sera vraiment dans la merde ». Des guitares détunées, des drapeaux, des disques et une bonne dizaine de synthés. Quand nous pénétrons à l'intérieur à peine éclairé en faisant attention de ne pas marcher sur quoi que ce soit, Romain Turzi semble occupé, courbé sur son ordinateur. Il porte une chemise rayée, un jean craqué au genou et des bottes. Lorsqu'il se retourne il avoue avoir complètement zappé notre arrivée et s'empresse d'aller nous chercher à tous de quoi s'asseoir. « J'suis en train de bosser sur un morceau de Phoenix, j'ai trois jours pour le faire j'ai à peine commencé. Pour le coup, c'est vraiment un hommage à Steve Reich, il y est déjà en fait alors soit je le vire, soit je fais un truc évident. Je le fais parce que je les connais, eux connaissent notre musique, on se respecte ».

Le rock disciplinaire

Plus jeune, avant qu'il ne déménage de Versailles au XVIIIème, il découvre Sonic Youth, décide de se mettre à la guitare et voit défiler les nineties. « Dans les vingts cds que j'avais à quatorze ans, on trouvait un My Bloody Valentine, un Stereolab et un Sonic Youth. Sonic Youth, c'est ce qui m'a donné envie de faire de la guitare, l'approche  'on détune les guitares' et tout ça. Avec eux et My Bloody Valentine, t'as cette grosse machine où tu sais pas trop qui fait quoi, un truc qui te transporte et t'agresse jusqu'à un certain point en te proposant quelque chose de joli. Et c'est le plus important, les sensations créées par la musique ». A partir de ces références, il se focalise sur le rock et la dissonance sans jamais se départir de son postulat de base, faire son propre truc en regardant son « petit bout de manche ». S'il revient souvent sur Sonic Youth, sa fascination pour les maîtres (Reich, Riley, La Monte Young ou plus récemment Perrotin le Grand) surplombe l'entretien. Plutôt que de s'influencer d'un groupe qui pourrait faire du krautrock façon Emperor Machine, il préfère intégrer les grands principes à son 'rock disciplinaire'. « Un jour on était dans le TGV avec un petit ghettoblaster et des vinyls, y'a un espèce de mec qui nous dit 'Ah vous êtes musicien vous faîtes quoi comme musique ?'. On lui répond qu'on fait du rock allemand. 'Ah bah vous faîtes du rock disciplinaire', et là on s'est dit putain le mec a tout compris. Même dans Steve Reich y'a de la discipline, c'est la grande marche ».

Et pour la grande messe, Turzi fonctionne avec la répétition de motifs simples. Depuis le départ, c'est cette « mélodie qui évolue parce que t'as une petite note qui vient s'y glisser, ensuite deux » qui l'intéresse. Alors évidemment, quand sort A en 2007 et que tout le petit monde n'a d'yeux que pour l'Allemagne seventies, qui est aussi celle des filles poilues dans les films d'Oswalt Kolle, c'est l'étiquette qu'on colle à Turzi. Lorsque Marc Teissier du Cros de Record Makers lui conseille de s'entourer d'autres gens pour B, il pense d'abord à Damo Suzuki, le chanteur historique de Can. Bien que très accessible, « tu lui files 300€ et il vient », Turzi préfère s'affranchir de l'étiquette kosmische allouée au groupe depuis le premier album. 'Turzi le groupe de kraut/psyché', c'est aussi l'histoire de l'arroseur arrosé. Kraut, c'est ce qui est écrit dans la bio. Et une bio, ça permet simplement aux gens de rentrer plus facilement dans l'univers d'un groupe. Ou alors, cela permet aux journalistes de ne pas avoir à chercher trop loin, c'est selon.

Quelque part, il avoue avoir souffert de cette étiquette. « En gros j'aime autant la musique électronique que la musique du Burundi, autant le rock allemand que les Stooges. En ce moment on écoute de la New Beat, les trucs belges Le dormeur doit se réveiller et tout ça. Là-dedans t'as l'hypnose, l'idée du voyage. Ce qu'on recherche au final, c'est de jouer plus sur des paysages que sur des structures. Mais Turzi, c'est dansant aussi, t'as un truc qui va faire battre ton cœur et après ton corps va s'y mettre ».

L'IRCAM sans les neurones

En écoutant son remix de Love Like A Sunset, c'est la production de Zdar qui s'envole autrement mieux que l'avion orange du gamin dans le clip de Music Sounds Better With You de Stardust, parce qu'on se demande qui serait susceptible de lui renvoyer l'ascenseur. Turzi aux commandes d'un titre de Phoenix, c'est un autre genre d'objet volant qui balaie au démarrage les cendres froides de la French Touch et ses VRPs usés jusqu'à l'os. S'il avoue ne s'intéresser à la dance music que depuis peu, il n'a de toute façon rien à voir avec la new French Touch, car ni fluo ni Edbanger, « même si on est peut-être un peu branché quand même ». Pas non plus vraiment DFA, encore moins David Sitek n°1 de ceux qui font avancer la musique : « Brooklyn c'est que des mecs qui s'regardent le style, c'est pas hyper intéressant. La seule chose que je respecte chez DFA, c'est Delia Gonzales & Gavin Russom ». Même si lui aussi aime la bricole et pense peut être un jour à construire ses synthés, la comparaison avec le barbu relou aux cheveux longs s'arrête là. B, c'est un cerveau branché sur Lemmy, Jean-Michel Jarre qui regarde Black Sabbath batailler avec Deep Purple du haut des pyramides, depuis trois ans que le musicien s'est mis aux grosses guitares. L'IRCAM, il y pense aussi « mais tu peux pas y accéder, t'es avec des savants. C'est un peu intello, nous on reste sur des plaisirs simples, faut pas trop réfléchir même si j'aime le côté cérébral dans la musique, le côté sexuel aussi est intéressant. Parler de recherche chez Turzi c'est un bien grand mot, faire de l'expérimental j'en ai un peu rien à foutre en gros. Thurston Moore qui fait beep beep assis sur sa chaise, je respecte énormément mais ça me parle moins ».

Direction Londres

Terminé les longueurs de A, Turzi est désormais un bulldozer synthétique lancé à pleine vitesse, une machine à superposition de nappes planantes quand même capable de mettre 5 jets dans la face. Baltimore, c'est Madchester revisité entre la Macarena et E2-E4 de Manuel Göttsching au Paradise Garage, tout ce que finalement Kasabian n'arrivera jamais à faire, même en rêve. Du coup, il décide de contacter Bobby Gillespie. Derrière un petit sourire amusé, on sent la fierté d'avoir une de ses idoles sur son disque, comme d'avoir joué avec Tim Blake d'Hawkwind qui a accompagné le groupe l'an dernier et lui a refilé ses synthés. « Gillespie, on lui envoie le morceau, il m'a simplement dit ok mais écris les textes. Il a pas beaucoup featuré en plus. Deux jours après j'étais à Londres on a fait ça en deux heures. Les voix ça a jamais été mon truc mais ça m'a décomplexé. Un mec très cool, tout à fait normal, qui m'a présenté à ses enfants, m'a fait à bouffer et m'a servi le thé ». Ce genre de rencontre, il en a fait une deuxième. C'est la fois où il s'est retrouvé à boire du champagne à 11h du matin  en compagnie de Brigitte Fontaine. « On voulait vraiment Areski (Belkacem) à la base, une semaine après elle était ici pour faire les voix de Bamako. Avec Gillespie, c'est vraiment deux personnes qui n'ont rien à foutre sur le même disque et ça c'est assez génial ».

Comme beaucoup de ses contemporains, il lui arrive de passer des disques en soirée ou de jouer avec son voisin de studio Etienne Jaumet. Parce qu'être dans Glamour n'aide probablement pas à vendre plus de disques. Mais ce qui l'occupe surtout en ce moment, c'est la réalisation de son album électronique en écoutant KLF. Même si son approche reste rock, il a très bien conscience que son futur ne se trouve pas dans les pages de Rock & Folk, et de toute façon il se fout de Lou Reed. Bouger l'intéresserait peut être, mais Romain Turzi préfère rester à Paris « peinard, sans avoir à se mettre dans la tendance pour exister ». Hors de toute tendance et même si peut-être un peu branché quand même, sa situation est claire. Sa chance d'avoir une résidence au Point Ephémère, il la tourne à son avantage en s'éloignant du vintage sans se préoccuper de prendre un virage serré. Sa situation aujourd'hui, donc, il la résume très bien lorsqu'il nous parle du Tenori-On ; sorte d'écran magique aux possibilités musicales infinies, la base de son travail en musique électronique : « J'suis plus un homme de boutons qu'un homme de touche ». Dans le mille.

Turzi // B // Record Makers

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Photos: Fiston