Alors, à la lecture de ce court album de Fabcaro, on a un peu eu l'impression d'avoir affaire à un frère, à un type né la même année que nous, ayant acheté les mêmes disques et en parlant avec une nostalgie sincère et dépourvue de cynisme.
Les chansons comme des balises nous rattachant à des moments précis de nos vie, à des souvenirs souvent anecdotiques, mais qui leur sont indéfectiblement liés. Et dans cette mémoire musicale, pas de hiérarchie, pas de pose. Fabcaro a écouté de la daube et de très bons groupes aussi. Ses goûts furent plus ou moins sûrs et il ne s'agit pas, rétrospectivement, de redessiner à son avantage des années où il écoutait des trucs aujourd'hui aussi mal vus que Dire Straits ou Scorpions. Ses années 80 furent bien les notres, les mêmes, et force est de constater que je me suis senti comme chez moi dans ces quelques dizaines de pages hilarantes.
Dans la lignée du Steak haché de Damoclès, paru chez le même éditeur, Fabcaro poursuit donc une veine autobiographique creusant un cousinage assez net avec le Manu Larcenet du Retour à la terre ou du Combat ordinaire.
Ici, plutôt que les récurrents problèmes de communication qu'il entreprenait de nous raconter dans son précédent livre, il choisit de dévoiler des souvenirs liés à une chanson précise pour se présenter encore une fois en loser sympathique, attendrissant, souvent exclu par ses goûts, son appréhension de la musique (et trouvant pour traduire cela quelques métaphores graphiques absolument impayables, rappelant même par leur tendresse et leur inventivité visuelle les meilleures planches de Bill Waterson, le créateur de Calvin et Hobbes).
On est loin ici de la logorhée érudite et du trait chargé d'un Jean-Claude Menu (Lock Groove Comix), loin aussi des chefs d'œuvres de Luz (En claudiquant sur le dancefloor, Faire danser les filles). Il ne s'agit en effet pas tant de parler de ce que l'on aime, de prêcher un bon goût punk un rien dogmatique (l'axe Luz/Menu donc), que de partir d'expériences communes (la peur de l'ado au moment du slow, la première boum, le mystère du bon goût et du mauvais goût, les pirates au son pourri qu'on achetait aux Puces, le voisin qui écoutait Guns & Roses à fond, la première prestation avec son groupe, le premier solo et les pains qui vont avec, le passage du vinyle au CD) pour y puiser une vérité intime parlant à tout un chacun, quelle que soit sa chapelle musicale. De là à dire qu'on tient ici du Philippe Delerm appliqué à la BD rock, il n'y a qu'un pas, mais je me garderai bien de le franchir car je ne suis pas si sûr que ce soit toujours un compliment...