&LUMIÈRES
SUR LA NUIT
Espace de temps sans lumière solaire, la nuit a longtemps été une dimension oubliée de la ville. Domaine de l’obscurité et du sommeil, du couvre-feu et du repos social, la nuit était le moment où la ville se fermait, où son activité était suspendue. L’individu se repliait sur son univers domestique et sa vie privée. La nuit s’ouvrait au rêve. Mais aussi au cauchemar, hantée par ses inquiétantes créatures… La nuit était aussi le temps de la transgression et du plaisir. Également celui, plus menaçant, du complot et du crime…
Poussé par son désir de se libérer des contraintes naturelles, l’Homme s’est lancé à la conquête de la nuit. De révolutions (techniques et industrielles) en évolutions (démographiques, sociologiques…), la nuit sauvage et naturelle a progressivement cédé la place à une nuit domestiquée et urbaine. Si le pouvoir politique a cherché à contrôler la nuit plus efficacement pour en garantir la sécurité, le développement des activités et des animations a progressivement fait apparaître un véritable espace public nocturne. Grâce à la lumière artificielle, la ville s’est émancipée de l’alternance originelle. Et la frontière de la nuit urbaine de reculer toujours un peu plus…
Qu’il s’agisse du temps de l’économie ou de celui des réseaux, médiatiques en particulier, la ville vit désormais au rythme du flux global et permanent et du grand marché ouvert 24h/24 et 7j/7. Le temps biologique et naturel semble même se rétrécir. Peu importe qu’il fasse jour ou nuit, la ville la nuit doit désormais être ouverte, visible, accessible. Travail, loisir ou tourisme, la ville vit aussi la nuit.
Et la lumière de jouer un rôle toujours plus important pour attirer et valoriser. Au point, parfois, de réduire la ville à un lieu de spectacle et de mise en scène et l’architecture à un simple décor. Sous l’effet d’une lumière parfois envahissante, la ville dévoile un autre visage. La lumière recompose l’espace, valorise certains lieux. Jusqu’à renforcer des antagonismes. Tandis que le centre urbain est l’objet de mille attentions lumineuses – parfois esthétiquement douteuses et souvent écologiquement coûteuses – la périphérie se contente de la banalité d’un éclairage public réglementaire. Entre la ville qui dort, la ville qui travaille et la ville qui s’amuse, de nouvelles tensions émergent.
La ville est rarement pensée en termes de temps. Cependant, même la nuit, elle doit demeurer accessible et hospitalière pour tous. Les artistes posent régulièrement leurs regards sur cet univers. Peinture, littérature, photographie, musique… la ville la nuit inspire les points de vue sensibles et artistiques. Et le cinéma nous invite régulièrement au cœur de la nuit urbaine. Qu’elle soit peuplée de vampires ou de morts-vivants, qu’il s’agisse du film noir, la nuit est le temps de la fuite ou de l’épreuve, des rencontres ou des retrouvailles…