Ambiance russo...austro...germanique pour cet étrange et excellent roman de Philippe Claudel. L'auteur ne précise pas où se déroule l'action. Cela pourrait être en allemange après la seconde guerre mondiale.
"Le métier de Brodeck n’est pas de raconter des histoires. Son activité consiste à établir de brèves notices sur l’état de la flore, des arbres, des saisons et du gibier, de la neige et des pluies, un travail sans importance pour son administration. Brodeck ne sait même pas si ses rapports parviennent à destination. Depuis la guerre, les courriers fonctionnent mal, il faudra beaucoup de temps pour que la situation s’améliore. « On ne te demande pas un roman, c’est Rudi Gott, le maréchal-ferrant du village qui a parlé, tu diras les choses, c’est tout, comme pour un de tes rapports. » Brodeck accepte. Au moins d’essayer. Comme dans ses rapports, donc, puisqu’il ne sait pas s’exprimer autrement. Mais pour cela, prévient-il, il faut que tout le monde soit d’accord, tout le village, tous les hameaux alentour. Brodeck est consciencieux à l’extrême, il ne veut rien cacher de ce qu’il a vu, il veut retrouver la vérité qu’il ne connait pas encore. Même si elle n’est pas bonne à entendre. « A quoi cela te servirait-il Brodeck ? s’insurge le maire du village. N’as-tu pas eu ton lot de morts à la guerre ? Qu’est-ce qui ressemble plus à un mort qu’un autre mort, tu peux me le dire ? Tu dois consigner les événements, ne rien oublier, mais tu ne dois pas non plus ajouter de détails inutiles. Souviens-toi que tu seras lu par des gens qui occupent des postes très importants à la capitale. Oui, tu seras lu même si je sens que tu en doutes... » Brodeck a écouté la mise en garde du maire. Ne pas s’éloigner du chemin, ne pas chercher ce qui n’existe pas ou ce qui n’existe plus. Pourtant, Brodeck fera exactement le contraire. "
Le souvenir le plus fort de ce roman sera pour moi, au-delà de la dureté des faits relatés qui rappellent l'une des époques les plus cruelles de notre histoire, le travail d'écriture de Philippe Claudel. C'est un travail d'orfèvre. S'appuyant sur une rhétorique particulièrement riche, exploitant au plus loin chaque champs lexical, l'auteur parvient à nous plonger au plus profond de son histoire. On voit défiler sous nos yeux, comme face à un écran de cinéma, les scènes et les personnages. On ressent le village, l'ambiance, le climat, le chaud, le froid, le rude, comme si on y était. Comme pour ses autres romans, en particulier Les âmes grises, rien ne pêche, ni le fond ni la forme. Exercice littéraire très réussi qui me conforte dans l'idée que philippe Claudel est un des meilleurs écrivains français aujourd'hui. Prix Goncourt des lycéens, il constitue bien sûr un excellent roman à lire pour nos ados qui sauront apprécier le style et se prendront au jeu de l'histoire pleine de mystère et de suspens !