La république immobile

Publié le 24 octobre 2009 par Yvesd

1793 : Tandis que la France sombre dans les horreurs de la Terreur jacobine, la Couronne britannique dépêche à Pékin sa première ambassade. Conduite par Lord Macartney, son objectif est clair : ouvrir à l'industrie anglaise le marché chinois afin de rééquilibrer en faveur du Royaume Uni une balance commerciale que le monopole de l'Empire du Milieu sur la production mondiale de thé rend lourdement déficitaire.
C'est un échec diplomatique mais Macartney réussit à remporter dans ses bagages suffisamment de plans de thé pour permettre quelques décennies plus tard aux possessions indiennes de la Couronne de briser le monopole chinois.
La suite est connue : le refus réitéré de la dynastie mandchoue d'ouvrir un tant soit peu aux « barbares européens » les portes du marché chinois sera à l'origine d'une série d'interventions étrangères armées qui plongeront l'Empire du Milieu dans un chaos tragique, prélude aux crimes de guerre nippons et aux atrocités maoïstes.
1989 : Alain Peyrefitte publie L'Empire Immobile, un livre passionnant rédigé sur la double base des récits de Macartney, de sa suite et des archives impériales. Il y décrit une Chine arrogante et sure d'elle, viscéralement xénophobe, enfermée dans une série de rites protocolaires et de certitudes politiques et, surtout, évidemment incapable de s'adapter un tant soit peu à la mondialisation économique et politique qui va bouleverser le monde tout au long du 19ème siècle :
- Une bureaucratie instruite et cultivée veille au strict respect d'un centralisme autocratique principalement soucieux d'étouffer dans l'œuf toute initiative, locale ou non, qui pourrait perturber, fut-ce à la marge, l'ordre impérial.
- Entrepreneurs et marchands sont ouvertement méprisés, taillables et corvéables à merci par l'administration et systématiquement suspectés de jouer le jeu de l'Etranger haï au seul profit de leurs intérêts particuliers.
- L'Etat accroît sans cesse les « prélèvements obligatoires » sur une masse de producteurs essentiellement ruraux qui reçoivent en échange des « services publics » d'une qualité toujours plus faible, notamment en termes de sécurité locale, d'irrigation ou de protection contre les inondations.
- Sciences et technologies n'évoluent plus depuis des lustres et affichent désormais un retard affligeant par rapport à l'Occident, ce dont refuse contre toute évidence de convenir la camarilla lettrée des mandarins qui peuplent la haute fonction publique chinoise.
- Un projet politique qui pourrait se résumer à la seule affirmation d'une spécificité culturelle qui conférerait à la Chine millénaire un statut particulier auquel les autres nations ne sauraient prétendre sans être taxées d'arrogance barbare.
« Restons Correct ! » n’affirme pas que la France de Sarko ressemble trait pour trait à la Chine de Qianlong. Pour autant, un observateur attentif de l'état économique, politique et social de la France serait à juste titre frappé par quelques similitudes aussi évidentes qu'inquiétantes :
- Une haute fonction publique, aussi instruite qu'intellectuellement brillante, souvent soupçonnée de bloquer, consciemment ou non, toute tentative de réforme de fond d'une sphère publique centraliste et omniprésente via une bureaucratie toujours aussi pléthorique.
- Des finances publiques dans le très piteux état qu'atteste une dette supérieure à 1 400 milliards d'Euros, malgré une pression fiscale qui ne cesse de s'accroître, sur le commerce de la (vraie) galette-saucisse comme sur le reste de l’économie productive
- Des services publics délivrant des prestations d'une qualité de plus en plus discutée, à commencer par l'enseignement dont les performances relatives se dégradent régulièrement en dépit de dépenses « per capita enseignée » en constante augmentation.


Le dernier avatar de ce formidable conservatisme national est la résistance des élus locaux, de toutes obédiences semble-t-il, à la réforme annoncée des collectivités locales qui, depuis des décennies, participent plus à l’hypertrophie de la sphère publique et à l’immobilisme de la République qu’à la promotion de la subsidiarité au service des citoyens.

Si Sarko parvient à la faire passer il pourra vraiment se vanter d’avoir réaliser une vraie rupture avec l’immobilisme de ses prédécesseurs…