L'ASA, l'autorité de contrôle des publicités au Royaume-Uni, est réputée pour sa sévérité s'agissant des revendications des marques cosmétiques. L'Oréal Paris en fait les frais : dans sa pub Telescopic avec Penelope Cruz, la marque est accusée de promettre un allongement des cils jusqu'à 60%, sans préciser qu'il s'agit simplement de l'apparence des cils (ah bon, les cils ne se mettent pas à pousser ??) et sans indiquer que l'actrice porte des faux-cils (au cas où le doute aurait été possible). La marque a été contrainte d'indiquer que Penelope Cruz portait "quelques faux-cils individuels dans cette campagne, [...] une pratique commune dans ce domaine [...] pour s'assurer d'une bonne tenue des cils lors des tournages et prises de vue". Résultat, à l'avenir, les faux-cils feront l'objet d'une mention sur la publicité...
Dans certains pays (Canada, USA, Royaume-Uni, Allemagne), les organismes de règlementations ou les associations de consommateur se montrent très regardants sur les allégations des produits cosmétiques (spécifiquement lorsqu'il s'agit de marques étrangères...), et n'hésitent pas à réclamer l'interdiction des publicités si ces revendications leur paraissent trop fantaisistes ou surprometteuses. Or, les marques comme l'Oréal ont développé et institué comme une norme un mode de discours publicitaire très technique et chiffré qui influence le marché tout entier, et les marques sont nombreuses à inclure ce type de " claim" dans leurs publicités. Face à la concurrence des doctors brands, marques de niche issue de l'univers dermatologique, tous les circuits se sont lancés dans des accroches promettant monts et merveilles au début des années 2000, ce qui a suscité en retour un durcissement des organismes concernés.
Garnier en a fait les frais également : une action collective a ainsi été lancée aux Etats-Unis contre son shampoing fortifiant Fructis qui promettait des cheveux "5 fois plus fort", apparemment sans base scientifique. Il faut lire également ici une analyse ironique du type de schéma qui vient, sur les shampoings, illustrer avec beaucoup d'à-propos ce type de claim.
En France, le BVP a ainsi développé des normes pour une publicité responsable, interdisant dans l'univers hygiène/beauté certaines pratiques. Il est en effet courant d'annoncer des chiffres en laissant un flou artistique sur la nature des tests les ayant démontrés, ou avec des tournures de phrase alambiquées qui permettent de laisser entendre un peu plus que la réalité. Le premier objectif de ce texte est donc d'obliger les marques à s'interdire ce type de phrase et à clarifier le test pratiqué, la nature du chiffre cité etc...
Par exemple, auparavant, quand une marque citait "une réduction/ augmentation de Y jusqu'à X%", elle pouvait se contenter d'une phrase explicative extrêmement technique ne permettant pas au consommateur d'en comprendre le sens réel, quand elle doit aujourd'hui annoncer de façon claire s'il s'agit d'un test de mesure scientifique (incluant des instruments de mesure) ou d'un test de satisfaction (uniquement basé sur le ressenti d'un panel d'utilisatrices), dans combien de cas de X% a été observé, quel est la moyenne de l'ensemble des cas, s'il s'agit d'un résultat in vitro etc... Une manière d'éviter que la marque n'affiche le montant maximum obtenu par hasard ou chance quand sur le reste du panel n'a été obtenu qu'un faible résultat.
Autre exemple : le terme "nouveau" ne peut être utilisé que pendant un an, et si la nouveauté est uniquement sur le packaging (et non sur la formule), cela doit nécessairement être indiqué.
Enfin, des termes comme "mincir", "rajeunir" doivent explicitement faire référence à une apparence plus mince ou plus jeune, et non à une action physiologique.
Au Canada, les instances officielles vont bien plus loin. Il existe carrément une liste des allégations possibles ou interdite, et le résultat est nettement plus sévère qu'en France. Il est par exemple proscrit de faire allusion au traitement ou à la réduction de la cellulite, et même à l'aspect de la peau d'orange : les marques doivent systématiquement mentionner qu'il s'agit de l'apparence du problème. La FDA (Food & Drugs Administration) américaine utilise des règles similaires, et pour des raisons budgétaires, réalise essentiellement ses contrôles à la douane : cela a pour effet d'être très restrictif pour les marques étrangères et nettement moins pour les marques locales. Résultat, les marques américaines peuvent se permettre des promesses plus ambitieuses. Un peu de protectionnisme déguisé, volontaire ou involontaire...
Quel résultat au final ? Le consommateur sort-il gagnant des normes plus restrictives ? Ma réponse serait plutôt non : à trois mots près, les allégations avant ou après ces contraintes sont identiques ! "La peau est lissée" devient "la peau est comme lissée", "la peau est plus jeune" devient "la peau est visiblement plus jeune", et tout le monde parait satisfait. Pour le consommateur, le résultat est le même : ce type de nuance lui échappe, et il décode la promesse de la même manière.
Chiffres contre rêve...
Deux tendances s'affrontent en réaction : soit les marques poursuivent dans cette voie ultra-technique en utilisant là encore des formulations complexes, des petites astérisques renvoyant sur des phrases sybillines en mini caractères en bas de page, qui permettent justement d'atténuer des discours très volontaristes, soit elles modifient leurs promesses vers un registre plus global, plus onirique. L'évolution du marché est particulièrement favorable à cette seconde tendance : dans la veine nature/écolo/authenticité, le marketing va vers davantage d'approches holistiques, vers davantage d'action globale, et tend à limer les ambitions chiffrées.
On peut citer Dior, passé en 2003 de "jusqu'à 60% de réduction des rides en 1 heure" pour Capture R60/80 à "plus belle aujourd'hui qu'à 20 ans" en 2006 pour Capture Totale : un discours plus positif, une promesse a priori moins technique et plus poétique, une approche moins sensationnaliste qui n'a pourtant pas démérité en terme de business.
Les clientes se font-elles pour autant des illusions sur la réalité de l'action des produits ? Elles constatent bien que les produits cosmétiques améliorent la qualité de peau, que la peau peut toujours être nourrie et embellie, mais que les produits ne sont pas pour autant miraculeux. Les effets sont visibles, mais dans la limite du raisonnable. Il est évidemment souhaitable que les marques n'en fassent pas des tonnes, et qu'elles cherchent davantage à faire rêver et un peu moins à convaincre avec de la pseudo-science. Le soin est d'abord du domaine du plaisir, pas besoin de pourcentages spectaculaires pour arriver à ses fins. Qu'en pensez-vous ?
Crédit photo : L'Oréal Paris / Dior