Le 12 octobre à 20h35 sur France 3 : documentaire "LE MYSTERE DES JUMEAUX".

Par Ananda
"Deux !... La fascination s'installe aussitôt".
Telle est l'une des premières phrases de ce documentaire, que j'ai trouvé émouvant, éminemment poétique.
A trois mois de grossesse, les jumeaux ne sont que "deux petites plumes qui flottent", mais qui, déjà, communiquent par le toucher. A leur origine, un "incroyable phénomène" : le dédoublement de l'oeuf primordial, qui donnera lieu à la gémellité monozygote. Le commentateur nous apprend qu'"aucun savant ne peut encore l'expliquer".
Mais, comment découvrir, dès la période de la grossesse, si les paires sont de faux jumeaux ou bien de vrais jumeaux ? Pour l'instant, seule une échographie qui révèlerait le sexe des enfant est apte à renseigner, à ce stade...ce qui, bien sûr, est loin d'être toujours possible.
Ce qui, par contre, est établi, c'est que les "jumeaux dizygotes" (faux jumeaux) se développent dans deux placentas qui leur sont propres. En revanche, dans le cas des paires de jumeaux vrais (ou monozygotes), l'affaire est nettement plus complexe, puisque, dans certains cas, ils se développent à l'intérieur d'un placenta unique et commun, et, dans d'autres, à l'intérieur de deux placentas différents.
Les images qui défilent sous nos yeux sont magnifiques et troublantes. Elles affichent "deux vies qui se façonnent ensemble, dans l'intimité du ventre maternel".
A quatre mois de gestation, les premières émotions surgissent.
Sonder le mystère des jumeaux !
Pour essayer d'en savoir plus, on abandonne momentanément les superbes images intra-utérines pour s'en aller interroger des paires de jumeaux de différents âges.
Leurs confidences mettent en relief un "grand sentiment de complicité" (ce dernier mot revient sans cesse). Ils font également allusion à leur très grande ressemblance physique, qui est le phénomène le plus frappant, bien que, curieusement, eux-mêmes ne la perçoivent pas toujours.
L'explication de cette extrême ressemblance est maintenant connue : deux jumeaux monozygotes (=vrais) ont exactement le même patrimoine génétique.
Chaque être humain possède 46 chromosomes, dont 23 qui lui viennent de la mère et 23 du père.
"Il y a plus de trois milliards d'onformations sur la double hélice de l'ADN" et seulement 0,1% du patrimoine génétique induisent la différence qui existe entre deux individus...sauf, vous l'avez deviné, dans le cas des jumeaux.
Les interviews reprennent le relais : des paires de jumeaux racontent successivement des anecdotes.
Puis on en revient au déroulement de la grossesse gémellaire. "Dans de tels cas, "la surveillance médicale doit être constante", nous révèle-t-on.
A quatre mois et demi de gestation, les deux foetus se touchent, se poussent. Nous les revoyons évoluer, se mettre à communiquer entre eux : images magiques !
"L'autre est un fabuleux champ d'émotions tactiles", confirment les savants, formels. En effet, les chercheurs ont réussi à découvrir, entre ces deux êtres, ce qu'ils appellent "un foisonnement d'intéractions d'une richesse insoupçonnée".
In utero, c'est bien réel (les images, en sus, le prouvent), "les deux petits apprennent à se connaître" et, forcément, leur sensibilité est enrichie par leurs échanges.
A cinq mois de grossesse, imaginez : ils ont le hoquet en même temps ! C'est une véritable vie sociale qui s'instaure dès l'aurore de la vie, et il faut croire qu'elle laissera, par la suite, une trace indélébile (comme en témoigne, catégorique, un membre d'une paire de jumeaux adultes interviewés en déclarant : "on est naturellement l'un avec l'autre")
Cette proximité fait rêver.
Ne prendrait-elle pas sa source dans cette extraordinaire, fabuleuse scène filmée intra-utero : le baiser des foetus jumeaux, leur étreinte ? Là, on peut dire vraiment que l'émotion du spectateur est à son comble. C'est proprement de toute beauté !
Là-dessus, nous sortons tant bien que mal de notre hébétude subjuguée : le film poursuit son cours, en redonnant la parole à des jumeaux de touts âges. De façon tout aussi émouvante, ils s'efforcent de nous expliquer la nature de "ce lien profond" qui les unit :
"c'est plus fort que l'amitié. On ne pourra pas nous séparer";
"on se fait des câlins", babillent deux charmantes fillettes jumelles;
"je n'ai longtemps pas pu aller aux toilettes sans ma soeur" confie une jeune fille.
En écho, deux autres jeunes femmes avouent l'une après l'autre, visiblement émues : "je serais capable de faire tout pour elle".
René Zazzo, grand spécialiste de la gémellité, parlait à ce propos de "relation excessive".
Car la relation gémellaire est "d'amour et de rivalité".
Il faut savoir qu'il y a jumeau dominant et jumeau dominé.
A preuve : nous sommes frappés par le témoignage d'une femme entre deux âges, qui se plaint en affirmant : "je ne pouvais pas respirer". Cette malheureuse personne a dû fuir une "jumelle tentaculaire", par qui elle se sentait phagocytée. Eh oui, tout n'est pas toujours idyllique dans cet univers qui nous fascine !
L'avantage de ne jamais ressentir le sentiment de solitude durant l'enfance peut également déboucher sur un sentiment, tout aussi réel, d'étouffement.
Cependant, la situation peut aussi être nettement plus nuancée et les rôles de "décideur" et de "suiveur" peuvent s'inverser, "selon les périodes". Un jumeau précise : "cela dépend du milieu, des situations", avant de se référer à une sorte de complémentarité (extraversion / introversion); "un peu comme le ying et le yang".
De toute façon, il y a "soutien", "entraide" : "à deux, on est plus fort".
Nouveau retour sur la grossesse, au stade, maintenant, de cinq mois et demi. Ce moment est "un cap important":  les cinq sens de nos  foetus jumeaux se sont éveillés
Néammoins, c'est très net, "l'un bouge plus". "Deux personnalités très liées, mais différentes se dessinent dès le ventre maternel".
Dans les derniers mois du développement foetal, les différences vont s'accentuant. "Il y en a toujours un de plus actif et de plus gros et grand".
Donc, la différence est présente. Même là, on ne peut la contourner.
Explication à la rescousse : "quand l'oeuf se scinde en deux, les pré-foetus sont parfaitement identiques. Mais le code génétique pourra, par la suite, changer sous l'effet d'un ensemble d'évènements épigénétiques et, on le sait, plus les jumeaux grandissent, plus ils se différencient l'un de l'autre" tout au long de leur vie foetale.
Voilà qui nous confronte une fois de plus au problème de l'inné et de l'acquis, ces deux forces en permanente intéraction.
Jolie formule : "l'ADN est une partition que chacun [des foetus jumeaux] interprète à sa façon".
Ainsi, le message de la gémellité lui-même serait : "chaque vie est unique".
"L'hérédité, nous explique-t-on, c'est une affaire de hasard, d'échanges de séquences d'ADN aléatoires entre les chromosomes", c'est, dit plus poétiquement, "la danse des chromosomes".
Mais tout ceci n'empêche pas les jumeaux d'être, comme nous l'avons vu, extrêmement soudés. Au point que, durant la toute petite enfance, ils sont dans la "confusion", ils ont l'impression de ne former qu'un seul être, ce qui compliquera singulièrement, l'on s'en doute, le cap du "stade du miroir".
Un beau jour, les jumeaux finiront par apprendre qu'ils sont deux. Mais c'est une notion qui semble, souvent, leur demeurer quelque peu problématique.
Témoignages à l'appui (assez bouleversants) d'un jumeau très adulte : "j'ai l'impression que mon frère, c'est mon deuxième moi".
Pour les jumeaux, le Moi est tout d'abord un Nous ("le Nous avant le Moi").
Le film aborde aussi le problème de cryptophasie, le fameux "langage des jumeaux". Loin d'être un mythe, ce dernier existe bien. Et s'il existe, nous révèle franchement un jumeau, c'est "pour se dire les choses sans que les autres comprennent".
Les jumeaux ont une nette tendance à s'enfermer dans leur cercle. Longtemps, les parents, en France, n'y firent pas attention. Toutefois, de nos jours, il en va tout autrement : classes séparées à l'école, parents devenus très attentifs à "ne pas les habiller pareil" autant qu'à éviter de les appeller "les jumeaux". Un parent interrogé clame haut et fort : "je n'ai eu de cesse de les différencier".
C'est que séparer les jumeaux n'est pas facile : René Zazzo, toujours lui, parlait d'un "cordon invisible".
Les jumeaux forment un "couple", dans le sens le plus fort, le plus compact du terme. De là découle leur difficulté de vivre une vie sentimentale incluant mariage et vie sexuelle. Les conjoints, par exemple, "doivent se montrer très compréhensifs". Les rivalités pour les conquêtes ne sont pas rares ("ce n'est pas vivable", se plaint carrément quelqu'un). Il faut, de la même façon, prendre en compte la possessivité, nettement perceptible au travers de propos qui peuvent paraître pour le moins excessifs : ainsi, la jumelle qui dit à propos de sa soeur "elle est à moi, je ne veux pas la partager; un mec me vole ma soeur; ma soeur, c'est ma femme".
De tout ceci, il ressort que "la gemellité est difficile à gérer"
Certes, élément très positif, "les jumeaux ont plus le sens de la collaboration", de l'être-avec-l'autre.
Il n'en reste pas moins qu'ils "oscillent entre le lien et le besoin de se construire, de s'affirmer tout seul".
Une nouvelle volée de témoignages nous aide à comprendre à quel point les jumeaux ressentent la séparation comme un déchirement : "le pire cauchemar, ce serait de perdre un frère jumeau. On se sentirait coupé en deux"; "c'est inconcevable. C'est encore plus terrible que perdre quelqu'un qu'on aime"; "c'est l'amour de ma vie". Comme ces confessions sont étranges et bouleversantes !
Le reportage, alors, se recentre sur la grossesse gémellaire : à six mois et demi, intervient une phase très critique : l'un des jumeaux ne se développe pas assez, et la mère est dans un état de fatigue extrême. La menace de prématurité se profile : "la prématurité, c'est le risque majeur qui pèse sur les jumeaux".
Le stade du septième mois est franchi, grâce au repos absolu de la mère. Les foetus, alors, sont en concurrence pour leur espace vital. En effet, le ventre d'une femme n'est guère conçu pour porter deux enfants.
Un accident peut se produire : "le syndrome transfuseur/transfusé"; il concerne les jumeaux à même poche placentaire. Les cordons ombilicaux se mettent à communiquer, se branchent l'un sur l'autre, et "l'un donne, l'autre prend". C'est ainsi qu'un jumeau peut en "bouffer" un autre.
Avec ça, les jumeaux partagent malheureusement souvent les maladies génétiques : "à chaque réplication de l'ADN, une erreur est possible : le gène mute et, de copie en copie, la mutation se propage". A l'appui, l'on nous présente l'exemple de deux jumelles pianistes.
A sept mois et demi de grossesse, la mère des deux foetus jumeaux filmés, Sarah, se trouve confrontée à de nouvelles inquiétudes : "le plus petit des foetus est toujours petit, il fatigue, sa croissance se fait mal".
A huit mois et demi, les médecins doivent déclencher l'accouchement...et, à la grande surprise de tous, ce sont deux faux jumeaux qui voient le jour, une fille d'abord, puis un garçon.
A cette occasion l'on nous révèle que "qu'ils soient vrais ou faux, les jumeaux ont tous ce même lien indéfinissable".
Le reportage conclut :"il y a dix millions de vrais jumeaux actuellement dans le monde".
Suit, dans la foulée immédiate du documentaire, un débat, d'où se dégagent, en ce qui concerne les jumeaux, de fortes constantes : d'abord, on ne le répétera jamais assez, le "lien très particulier"; ensuite, le fait que les deux premières années de vie de ces deux êtres sont faites de "fusion totale", de prééminence radicale du Nous sur le Moi.
A retenir, également, que les grossesses gémellaires "ne sont pas des grossesses simples" (nous nous en sommes aperçus) : "la mère a peur", peur tout aussi bien, par la suite, de ces "couples inséparables" qui forment bloc, forteresse : "elles sont trop proches l'une de l'autre", d'où "beaucoup de rivalité".
Le professeur Axel Kahn intervient : "les jumeaux sont confrontés à l'autre absolument semblable", ce qui ne peut qu'entraîner un problème de "personnalisation"."Quelle est la différence entre un jumeau et un clone ?" interroge-ton.
La réponse ne se fait pas attendre, elle est catégorique : "aucune".
"Les jumeaux sont des clones, mais ce ne sont jamais des copies conformes l'un de l'autre". Voilà qui est clair.
Ce qui ne les empêche pas d'avoir "le même équipement sensoriel et le même câblage cérébral".
Interviennent enfin, en guise de conclusion, les deux réalisateurs, dont on ne peut omettre de citer les phrases magnifiques : "une histoire de jumeaux, c'est une histoire d'amour" et "j'ai voulu faire un film de tendresse".
De cela, nous ne doutons nullement.
Et cela, les jumeaux le méritent.
Ne contribuent-ils pas à éclairer l'essence de la condition humaine ?
Ne nous ensignent-ils pas que l'altérité, même jumelle, est incontournable ?
Ne nous renseignent-ils pas de manière particulièrement troublante sur l'importance, sur l'impact de la vie intra-utérine, sur son empreinte beaucoup plus déterminante qu'on aurait tendance à le croire ?
Et, finalement, ne nous attirent-ils pas par le vieux rêve fusionnel qu'ils réveillent en nous ?
Les jumeaux, point nodal entre proximité et différence !

P.Laranco.