L'affaire Jean Sarkozy a mis l'éclairage sur un phénomène que les politologues connaissent bien, celui des dynasties politiques. On sait que beaucoup de nos politiques sont des enfants de politiques. On pense aux Debré (Michel, Jean-Louis, Bernard), aux Joxe (Louis, Pierre), aux Jeanneney (Jean, Jean-Michel), aux Laurent (Paul, Pierre, Michel) ou aux Seguy au PC, aux Le Pen… le phénomène est fréquent chez nous, mais peut-être plus encore aux Etats-Unis.
Pareto, Mosca, Michels et tous les théoriciens de l'élitisme en ont, en leur temps, parlé. Trois jeunes économistes, Pedro & Ernesto Dal Bó et Jason Snyder, viennent de reprendre le dossier. Ils ont publié, il y a un peu plus de deux ans, un papier, Political dynasties, qui montre, à partir de données américaines, que ces dynasties sont fréquentes dans cette grande démocratie. On pense aux Bush, aux Kennedy, mais il n’y a pas qu’eux, loin s’en faut. Et ils s’interrogent sur les raisons de cela.
On peut avancer plusieurs hypothèses :
- la première est qu’il y aurait dans ces familles des gênes qui rendraient particulièrement aptes à l’exercice de responsabilités politiques. C’est une thèse qui nous était jusqu’à présent un peu étrangère et dont on a pu deviner l’émergence en France ces derniers jours. Il fallait lire les réactions de la presse, je ne parle même pas des politiques, au lendemain de la déclaration télévisée du jeune Jean pour voir combien l’idée était implicite dans de nombreux commentaires admiratifs : c’était "tel père tel fils…” à longueur de colonnes ;
- la seconde est le népotisme pur : la nomination d’un de ses enfants est une manière pour l’élu d’affirmer son pouvoir, de s’imposer face à ses adversaires politiques, c’est une marque de son pouvoir : “je suis élu, je fais ce que je veux” ;
- la troisième est que le pouvoir engendre le pouvoir.
Partant d'une analyse statistique sophistiquée Pedro et Ernesto Dal Bó et Jason Snyder retiennent cette dernière hypothèse : tout se passe comme si les élus construisaient au fil des années un capital, leur nom, leur réseau… qu’ils transmettent à leurs enfants. Plus quelqu’un a de pouvoir, plus il dure dans le pouvoir, plus il y a de chance qu’un de leurs enfants en hérite.
Ce phénomène dynastique choque nos sensibilités démocratiques. Ces trois auteurs montrent cependant qu'il a eu des effets inattendus. Il a notamment contribué à favoriser la montée en puissance des femmes dans la politique. Et, effectivement, beaucoup de femmes politiques sont des héritières. Comme Martine Aubry, Roselyne Bachelot qui a hérité de la circonscription de son père, Françoise de Panafieu, fille de François Missoffe et, bien sûr, Marine Le Pen. 31% des parlementaires femmes américains sont, d'après leurs calculs, des héritiers contre seulement 8% des hommes. Ce qui éclaire d’un jour un peu blême les progrès de la féminisation de la politique.
A l'inverse de ce que le cas Jean Sarkozy pourrait faire penser cela ne permet pas aux héritiers d’entrer dans la carrière plus jeune. Ce qui confirme que cette affaire est exceptionnelle et va bien au delà des pratiques ordinaires.
Ces trois auteurs montrent enfin, et ce n'est pas le moins surprenant, que la tradition dynastique, ce qu’ils appellent le biais dynastique, est plus forte dans le monde politique que dans la plupart des autres professions.