Après Olympe et Melle S , je voudrais moi aussi aborder le concept de victimisation.
Soulignons d’abord une chose ; ce concept a été d’abord développé par les adversaires du féminisme et certaines personnes avides de pub, sur la base des chiffres assénés par les féministes. On résumera leur position par “arrêtez de nous faire chier avec vos souffrances, y’en a qui s’en sortent très bien regardez Liliane Bettencourt”.
L’idée n’est pas nouvelle et les militants anti-racistes, luttant contre l’homophobie, la transphobie y ont droit aussi quotidiennement.
Mais ce n’est pas parce qu’un concept est mal développé et nie la réalité qu’il est forcément faux.
Prenons plusieurs exemples :
- le salaire des femmes inférieur de 20 % à celui des hommes à salaire et diplôme égal.
- la prise de parole dans l’espace public
- les tâches ménagères.
Il a été montré que, si un recruteur a tendance à proposer à une femme un salaire inférieur à celui qu’il proposerait à un homme, une femme va moins négocier, demander, exiger. Sans jamais nier qu’elle est victime d’une discrimination au départ, cette discrimination s’accentue par la mauvaise image que les femmes ont souvent d’elles mêmes, leurs hésitations, leur manque de confiance en elle, qui les conduit à accepter un bas salaire alors que l’homme négociera. (on parle bien ici de postes où la négociation salariale existe, pas d’emplois au smic).
On constate d’ailleurs aux USA que les quelques CEO femmes s’attribuent d’office un salaire bien inférieur à celui que s’octroient les CEO hommes.
Cette idée va faire le lit des opposants au féminisme, qui ne manqueront pas d’oublier toute la première partie de la réflexion et concluront au fond, que si une femme est moins payée, c’est parce qu’elle le veut bien . Répétons donc qu’il n’est pas question d’oublier que le salaire proposé aux femmes au départ est souvent inférieur à celui proposé aux hommes.
Pour la prise de parole dans l’espace public, il est également montré que, si les hommes ont en effet tendance à la monopoliser, les femmes ne la prennent pas. Il serait donc un peu simpliste d’imputer uniquement aux hommes le fait que les femmes se taisent en réunion. C’est également tout un travail, que seules peuvent faire les femmes, que d’apprendre à avoir confiance en elles et à oser s’affirmer.
c’est encore dans les tâches ménagères que c’est le plus visible et c’est d’ailleurs là où on avance le moins y compris en Suède. Oui bon nombre d’hommes ne foutent rien en matière de travaux ménagers ; une étude a d’ailleurs montré qu’ils sont prêts à mentir plutôt qu’à faire le ménage. Ceci est un fait incontestable ; bon nombre de femmes se plaignent donc que leur conjoint ne fasse jamais le ménage. Certaines de ces femmes se révèlent incapables de renoncer à faire le ménage, pistent leur mari quand il a la velléité de prendre le balai et ont des vapeurs quand on leur explique que la seule solution pour que le conjoint se bouge le cul est de faire la grève du ménage.
Nier ces analyses, imputer ce genre de situations à la seule responsabilité masculine est ce que j’appelle moi du victimisme. Attention, on peut être victime et être également dans une démarche victimiste. Une femme qui passe son temps à se plaindre que son mari ne fait rien, sans se donner les outils pour qu’il agisse est certes une victime mais aussi dans une démarche victimiste.
J’ai à cet égard un exemple. Une fille se plaint que son copain joue à la playstation pendant qu’elle repasse ses chemises. On lui conseille de tout lâcher ; s’il veut des chemises repassés, qu’il le fasse. Elle rétorque qu’elle ne supportera pas qu’il parte au travail avec des chemises froissées et continue son repassage en bougonnant. Oui il est clair que le copain est un macho ; mais il est tout aussi clair, que cette fille est dans une démarche victimiste puisqu’elle a bien conscience de la situation mais ne se donne pas les moyens d’y remédier, moyens qui sont ici possibles (cela n’est évidemment pas toujours le cas).
Dire ceci n’est absolument pas nier les souffrances et discriminations dont sont victimes les femmes ; c’est simplement poser que les femmes ne doivent pas se poser en victimes passives, on peut être victime et agentive. Il n’est pas question d’attendre le bon vouloir des uns et des autres pour agir. La prise de conscience et l’action ne garantiront jamais le succès ; face à un homme qui ne veut rien foutre, une femme peut faire la grève du ménage six mois, il ne se passera rien. Face à des hommes en réunion considérant qu’une femme ne peut dire que des sottises, la prise de parole sera douloureuse ; face à un recruteur qui d’office vous propose un salaire moindre, toute vos tentatives de négociations n’empêcheront pas, qu’au final, votre salaire sera inférieur. Pour autant, vous aurez essayé.
Imputer ce genre de comportements aux conditionnements dont sont victimes les femmes est sans aucun doute vrai mais me semble, à terme, dangereux. Cela semble poser l’idée que les femmes seraient incapables de sortir de leurs conditionnements alors que les hommes le pourraient ; c’est imputer aux seuls hommes, la possibilité de faire évoluer la condition des femmes. C’est donc encore une fois penser que le sort des femmes ne dépend que des hommes. C’est donc presque dire que la révolution ne passera jamais par les classes dominées, trop occupées à gérer leurs problèmes, non conscientes de leur classe ; mais uniquement par les classes bourgeoises (que seraient ici les hommes donc).