En 1968, Andy Wharol affirmait : « Dans le futur, chacun aura le droit à 15 minutes de célébrité mondiale. » Dorénavant, on aspire tous à 15 minutes de buzz comme nouvelle façon d’être et d’exister : je buzz donc je suis, buzzato ergo sum. Une existence dans la fugacité car tout buzz sera détruit par un autre buzz. Mais sans buzz, nulle existence possible, essaie-t-on de nous faire croire.
Ce mot anglophone est intraduisible. On peut toutefois le rapprocher de l’idée de rumeur en tant qu’il se propage par le bouche-à-oreille. Aussi, le buzz, tout comme la rumeur, est sujet à la suspicion puisqu’il est fabriqué avec des outils qui échappent à la plupart : on fomente l’un comme l’autre. Une suspicion moins évidente que pour la rumeur. En effet, la méfiance à l’égard du buzz se cache derrière la connotation positive du terme. Suspicion malgré tout car il peut y avoir falsification de l’auteur du buzz et dissimulation des moyens mis en œuvre. Suspicion car il est un outil de propagande marketing. Suspicion enfin, car on peut difficilement s’empêcher de se demander : à qui profite le crime, qui dessert-il ?
Par ailleurs, le buzz impose un diktat dont la rumeur nous préserve : il est, dans chaque domaine propre, ce dont chacun d’entre nous doit s’emparer faute d’être marginalisé. On doit se l’approprier, le faire sien et le transmettre à notre prochain qu’on aime en toute bienveillance et qu’on veut préserver de l’isolation sociale. La société à l’ère du Web 2.0. tente de faire croire à tous que chacun a besoin du buzz pour exister en profitant de la crédulité des foules. Si Kant nous ordonne de s’affranchir des tuteurs pour penser par soi-même, il ne serait certainement pas superflu de s’affranchir, dans une certaine mesure, du besoin de buzzer pour exister par soi et pour soi. En outre, l’existence par le buzz procure une jouissance trop courte, même pour celui ou celle qui buzz dès le premier soir.
Le buzz est devenu pour autant et d’une façon indéniable, quoiqu’éloignée de l’idée platonicienne énoncée dans « La République », une des formes que prend le débat démocratique à l’époque d’Internet. Mais dans un premier temps, le peuple est avant tout considéré par une élite comme un agrégat de consommateurs manipulé à souhait. En effet, cette élite possède une connaissance et une maîtrise des outils du buzz marketing et élabore bien souvent de véritables et malicieuses stratégies. Pour autant, le consommateur peut prendre une revanche terrible puisqu’il devient le vecteur du message, son nouveau maître et son possesseur et le manipulé peut devenir le manipulateur. C’est donc un vecteur démocratique, bien que pollué, en tant qu’il permet d’énoncer une appréciation ou une dépréciation qui n’est pas encore advenu collectivement.
Il est aussi le symptôme d’une société qui interroge moins la qualité des adhésions que le nombre des adhérents. Ce qu’il faudrait interroger finalement, en premier lieu, c’est la relation du buzz avec la validité et la légitimité. Une question qui risque de mettre à mal tout buzz car à la suite de La Bruyère, il est trop tentant de penser que : « le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes, est souvent la vérité. » (Caractères, Jugements § 39.)
Le buzz, c’est l’étang de Narcisse au profit d’un supposé adorateur de soi que des milliers d’internautes sont invités à admirer à défaut que leur propre visage ne s’inscrive à leur tour glorieusement dans la mémoire de tous les ordinateurs. En ce sens, le buzz tend à devenir une façon d’être ou de ne pas être. To buzz or not to buzz, telle est la question.