Staromestska radnice, l'Hôtel de Ville de Prague, sur la Place de la Vieille Ville devant lequel je vous avais, souvenez-vous, donné rendez-vous samedi dernier ami lecteur, fut érigé au XIVème siècle et connut, comme bien d'autres édifices pragois, quelques
avatars inhérents à la vindicte nazie de 1945.
La tour qui le flanque, si elle date seulement d'une trentaine d'années après la construction de l'édifice (1364), ne reçut la splendide horloge astronomique, objet
de tant d'admiration aujourd'hui (et qui, bien évidemment, n'est pas celle que vous apercevez tout au-dessus de la face est), qu'à l'extrême fin du XVème siècle.
Sur le site de Radio Prague (www.radio.cz/fr/article/12345), la journaliste Jaroslava Gregorova indique clairement que
cette horloge fut conçue (en 1490) par Maître Hanus, et ne fait aucunement allusion à l'atelier de Nicolas de Kadau qui, selon Wikipedia pourtant et tous les bloggeurs qui y ont puisé
la substantifique moelle à l'origine de leur article, en serait, en 1410, le premier concepteur.
Ce Hanus, donc, horloger de génie à l'origine ou non de ce chef-d'oeuvre, a le bien triste privilège de susciter deux légendes associées à son nom : si la première
insiste sur sa colère de n'avoir jamais été rémunéré par la municipalité, ire qui aurait débouché sur sa décision de saboter le mécanisme, la seconde, plus draconienne, plus mutilatrice
aussi, fait état du supplice qui lui fut infligé de manière que, devenu définitivement aveugle, il soit ainsi empêché à tout jamais de réaliser une pièce semblable pour une autre
ville.
Quoiqu'il en soit de ces fables, peu ou prou avérées, cette
petite merveille tomba bel et bien en panne après son inauguration. Quelque septante années de recherches furent alors nécessaires avant de trouver la personne idoine à même de la
remettre en parfait état de fonctionnement.
Cette horloge, qui fut également réparée en 1948 suite à l'incendie que lui infligèrent les Allemands lors de leur déroute à la fin de la guerre, avait été enchâssée
au sein d'un oriel gothique aménagé sur la face sud de la tour. Elle surmonte aujourd'hui un calendrier saisonnier circulaire, ajouté au XIXème siècle, constitué de douze cercles
accolés les uns aux autres dans lesquels ont été reproduits les différents travaux inhérents aux douze mois de l'année agricole. Au milieu de ce cadran figure l'élément héraldique central du
blason de Prague, qu'entourent, en regard des scènes de la vie paysanne, les douze signes zodiacaux.
Ces imposants cadrans sont tous deux assortis de quatre personnages allégoriques dont un ange brandissant bouclier et épée parmi ceux du dessous, immobiles,
alors que ceux qui encadrent l'horloge astronomique proprement dite sont à considérer comme des automates : en effet, un mécanisme subtil leur permet de s'animer à chaque fois que vont
sonner les heures, de 9 à 21 heures très exactement.
De gauche à droite, la Vanité est personnifiée par un homme qui, ostensiblement, s'admire dans un miroir qu'il passe d'un geste lent
devant son visage, et l'Avarice, à ses côtés, symbolisée sous les traits d'un commerçant juif au nez délibérémment crochu occupé à agiter sa bourse.
Leur faisant pendant, de l'autre côté de l'horloge, la Mort, squelette dégingandé, d'une main sonne le glas grâce à la clochette dorée qu'il agite frénétiquement,
tandis que de l'autre, il manie le sablier du Temps. Enfin, semblant systématiquement tourner le dos à la Mort, dernière allégorie de l'ensemble, la Convoitise emprunte la
silhouette d'un prince turc, jouant de la mandoline, et dodelinant du chef.
Ces statues, qui datent elles aussi de 1948, ont en fait remplacé les marionnettes initiales qui s'étaient non seulement abîmées au fil du temps, mais que l'incendie
nazi avait définitivement rendues inutilisables. Toutes véhiculent sans discernement des croyances et des symboles ancrés dans la mémoire populaire de la fin du Moyen
Âge.
Cette première animation en entraîne immédiatement une autre, juste au-dessus : c'est en effet le squelette qui donne le signal de
l'ouverture de deux petites fenêtres rectangulaires dans l'encadrement desquelles on peut apercevoir, malgré la distance qui nous en sépare, douze apôtres qui passent ainsi lentement de
l'une à l'autre, emmenés par Saint Pierre.
Et après que, le temps du défilé apostolique, les deux
fenêtres se sont refermées pour quelque cinquante-cinq minutes, un coq doré, ajouté tout en haut de l'oriel à la fin du XIXème siècle, émerge de la sienne et annonce la mort prochaine
...
Mais comment se présente cette célèbre horloge astronomique ?, - ou astrolabique comme certains préfèrent la définir, arguant que son cadran a la forme d'un
astrolabe, cet instrument originairement destiné à mesurer la hauteur des différents astres par rapport à l'horizon, connu des Grecs déjà, véritablement mis au point par les Arabes au
VIIème siècle de notre ère, et dont se servirent certains navigateurs du XVIème pour partir à la découverte des terres nouvelles.
Le fond même du cadran représente à la fois la Terre (cercle bleu central), surmontée, toujours en bleu, par la portion du Ciel visible au-dessus de
l'horizon.
En dessous, en noir, un autre cercle figure la partie non visible du Ciel. Et de part et d'autre, inscrits en latin, les moments intermédiaires : à gauche,
aurora et ortus (aurore et lever) et à droite, occasus et crepusculum (coucher et crépuscule). L'ensemble nous indique que l'on trouvera tout normalement
le soleil, la journée, dans la partie bleue du cadran et, la nuit, dans la partie noire; il précise également qu'il figurera dans la partie brune de gauche à son lever, et dans celle de
droite à son coucher.
Vous aurez remarqué que cet espace supérieur du fond du cadran est compartimenté : treize lignes le relient en effet au cercle bleu central, délimitant ainsi
douze segments numérotés en chiffres arabes noirs qui correspondent évidemment aux douze heures d'une journée.
Quant aux chiffres romains qui ornent la circonférence du fond fixe, ils permettent d'indiquer l'heure locale de Prague, qui correspond à l'heure normale d'Europe
centrale - CET = Central European Time, en anglais -, et qui est utilisée toute l'année par maints pays africains, et par l'Europe, Portugal et Îles Britanniques mis à part, pendant
seulement l'époque de l'heure d'hiver (qui, pour nous, commence la nuit prochaine).
Je présume que ces quelques indications vous auront permis de déduire que le XII de la partie supérieure du cadran équivaut à midi, et que donc celui du dessous marque
minuit.
Je me dois aussi d'ajouter, avant de terminer ma description de ce fond fixe, que les trois délimitations concentriques dorées qu'on y voit correspondent,
pour le cercle central contenant la silhouette de notre Terre, au Tropique du Capricorne, pour le cercle intermédiaire, à l'Equateur et, pour le plus grand, celui qui touche les
chiffres romains, au Tropique du Cancer.
Enfin, quelques éléments, mobiles quant à eux, viennent animer l'horloge astronomique : un cercle zodiacal, une grande bande rotative externe noire présentant des
nombres inscrits en écriture gothique permettant d'indiquer la quantité d'heures écoulées depuis le coucher du soleil, un petit astre solaire en réduction sous une main droite dorée
et, à l'autre extrémité, un modèle réduit de lune.
La conception même de ce joyau d'horlogerie, j'aime à le préciser, reflète elle aussi les "connaissances", - je devrais plutôt écrire les "croyances" -,
géocentriques qui étaient celles qui continuaient à prédominer au Moyen Âge arrivant en droite ligne de la Grèce antique : la cosmologie d'Aristote et l'astronomie de Ptolémée qui avaient
péremptoirement fait croire que la Terre constituait le centre même de l'Univers et que le Soleil et les planètes tournaient autour d'elle.
L'inanité de ces notions fut définitivement démontrée lors de cette extraordinaire mutation mentale qui intervint au XVIème siècle, aux conséquences
qui sous-tendent aujourd'hui encore notre mode de pensée, et que scientifiques et philosophes ont baptisée "Révolution copernicienne", suite aux théories héliocentriques
prônées alors par l'astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) démontrant pour sa part que c'est le Soleil qui se trouve au centre de l'Univers, et que c'est notre Terre qui, en un
an, tourne autour de lui.
Cette assertion fut toutefois vigoureusement contestée et catégoriquement rejetée par l'Eglise catholique parce qu'elle bouleversait tout l'édifice qu'elle
avait mis des centaines d'années à édifier. Tout comme, je l'ai déjà précédemment évoqué ici, les avancées concernant le
déchiffrement de l'écriture hiéroglyphique égyptienne que nous devons au Figeacois Jean-François Champollion furent au début du XIXème siècle mêmement combattues par le Vatican
sous prétexte qu'elles faisaient considérablement reculer la chronologie chrétienne alors en vigueur : il était inconcevable qu'il y eût eu des hommes sur Terre avant la naissance du Christ
!!!!
Ceci étant, que peuvent donc exactement lire sur cette horloge les plus "doués" d'entre nous ?
Bien évidemment, l'heure locale indiquée par la main jaune sur les chiffres romains. Mais aussi, l'heure, en douzièmes de jour, notifiée par la position du soleil sur les
courbes dorées : il était donc pratiquement 15 H. à Prague, quand j'ai pris cette photo; et nous étions dans la neuvième heure du jour depuis le lever du soleil.
En outre, la main toujours, mais posant sur les chiffres gothiques, détermine l'ancienne heure tchèque.
Parallèlement, et là je m'adresse aux vrais connaisseurs en la matière - dont je ne suis absolument pas -, cette horloge astronomique indique également la position
du soleil et celle de la lune dans le ciel, le signe zodiacal dans lequel l'on se trouve, ainsi que, grâce à la petite étoile, le temps sidéral.
Après lecture de toutes ces explications que j'espère avoir présentées de manière relativement simple et compréhensible, je pense ne point trop m'avancer, ami
lecteur, si j'en conclus que cette spectaculaire réalisation, incontournable rendez-vous de tous les touristes qui se pressent à Prague, se révèle prodigieuse d'ingéniosité, de
technicité avérée et poussée, pour l'époque de la création de tout ce mécanisme, à son plus haut degré de perfection.