1927
Fred Jackman
Avec: Oliver Hardy, Barbara Kent, Theodore Von Eltz, Rex le roi des chevaux sauvages
A tout point de vue, No Man’s Law est sinon un western exceptionnel, à tout le moins un western muet tout à fait remarquable. Du point de vue de sa production d’abord. Hal Roach est avant tout connu pour avoir produit et lancé Harold Lloyd et le duo comique le plus connu de la planète (après Bud Spencer et Terence Hill) : Laurel et Hardy, ainsi que la série comique Les petites canailles, tournée avec des enfants, qui était encore diffusée sur Récré A2 en 1984. Pourtant, occasionnellement, il mettait sur pied des westerns sérieux, durs et sans concession, à l’image de No man’s law.
C’est sans doute pour cette raison que l’on retrouve au casting Oliver Hardy, le plus gros des deux comiques mondialement connus. Il est ici quasiment méconnaissable en Sharkey Nye, tout en vice suintant, la barbe de trois jours, le bandeau sur l’œil et les dents avariées achevant de faire oublier son habituel visage poupon. A un gag près, qui ressemble plus à un clin d’œil complice qu’à un gag réel délivré dans le but de faire rire (à l’époque, Laurel et Hardy étaient déjà bien lancés), Oliver Hardy se réinvente totalement en une sorte de mélange annonciateur entre Slim Pickens et le Jack Elam vieillissant. Un régal de fourberie grassouillette et vicelarde!
Vicelard et mû comme tout le monde par le sexe et par l’argent. Il forme un tandem avec le peu recommandable Spider O’Day (Theodore Von Eltz), tandem dont la méfiance est l’un des moteurs (ils ont une façon intelligente de mettre leurs deux flingues en lieu sûr pour être certains que l’un ne va pas descendre l’autre pendant leur sommeil). L’argent d’abord, en découvrant par hasard une mine pleine d’or qui appartient à un vieillard sans défense. Le sexe ensuite, en réalisant que le vieillard a une fille qui se baigne à poil dans les points d’eau. Barbara Kent, pour sa troisième réalisation, offre un mélange détonnant de grâce, de lolita allumeuse et de garçon manqué (elle porte un pantalon et s’appelle Toby). Sept ans avant Jane dans Tarzan, on voit une femme nue se baignant dans l’eau (en réalité elle avait une combinaison couleur chair), mais ce n’est pas tant cette scène que toute la tension sexuelle qui découle de sa présence qui fait la force du film. Alors qu’elle se baigne, Sharkey Nye la regarde, sans gêne, le sourire lascif, faisant même un nœud aux jambes du pantalon de la belle (resté sur la berge), pour être sûr qu’elle ne puisse pas se rhabiller rapidement.
Plus tard, alors que les deux hommes, Toby et son père sont tous dans la cabane, et que la tension est à son comble, elle allume carrément le moins mauvais des deux (Spider O’Day) dans une sorte d’impulsion amoureuse naissante et ingénue. Tout ça finit forcément très mal, avec tentative de viol à la clé. On ne va pas se lancer dans des comparaisons anachroniques avec Peckinpah, mais vous voyez où je veux en venir.
D’autant qu’époque oblige, ça ne finit pas mal. Car la dernière particularité de ce film muet à voir absolument, est qu’il s’agit d’un film dont la cinquième vedette est le cheval Rex. Rex est un magnifique étalon qui apparaît dans plusieurs films de la période, dont The Devil Horse avec Yakima Canutt. Il avait son entraîneur attitré et répondait à une demande du public friand d’animaux plus ou moins savants. Pourtant ça ne fait pas de No Man’s Law un film enfantin. Rex est dans ce film un cheval sauvage, qui prend inexplicablement la défense de Toby à chaque fois qu’elle est en danger. Rex est alors presque un élément surnaturel, dont l’absurdité première tend à inverser l’effet du happy end de rigueur. Non dans la vraie vie, il n’y aurait pas eu de cheval salvateur, la fin aurait été exactement celle que vous avez failli avoir. Mon reagard tronqué des années 2000 me fait penser que c’est uniquement dans ce but que Rex a été placé là : mettre en lumière l’imbécillité de ces milliers de happy ends où le héros évite le pire à tout le monde. Et pour tout cela et tout ce que j’ai dit avant, pour ces décors secs et arides magnifiquement utilisés, pour cette main qui se crispe sous les sabots du cheval, pour ce mourant qui se fait une cigarette et qui fout du tabac partout, No Man’s Law est un putain de western muet indispensable.
Captures: DVD SinisterCinema